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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

on vous soupçonne d’être affilié à la congrégation des jésuites ; enfin on va jusqu’à dire que vous insultez ostensiblement à la gloire de nos armées en attachant chaque jour à la queue de votre cheval une rosette tricolore. Ce n’est pas tout, car la calomnie ne s’arrête pas en si beau chemin : on prétend que le vieux Stamply a été victime d’une captation indigne, et que, pour prix de ses bienfaits, vous l’avez laissé mourir de chagrin. Je ne voudrais pas vous effrayer ; cependant je dois vous avouer qu’au point où en sont les choses, si une seconde révolution éclatait, et Dieu seul peut savoir ce que l’avenir nous réserve, il faudrait encore une fois vous empresser de fuir, sinon, monsieur le marquis, je ne répondrais pas de votre tête.

— Savez-vous bien, monsieur, que c’est une infamie ? s’écria M. de La Seiglière, à qui les paroles du satanique vieillard venaient de mettre la puce à l’oreille ; savez-vous que ces libéraux sont d’affreux coquins ? Moi, l’ennemi des libertés publiques ! Je les adore, les libertés publiques ; et comment m’y prendrais-je pour détester la charte ? je ne la connais pas. Les jésuites ! mais, ventre-saint-gris ! je n’en vis jamais la queue d’un. Le reste à l’avenant ; je ne daignerai pas répondre à des accusations qui partent de si bas. Quant à une seconde révolution, ajouta gaiement le marquis comme les poltrons qui chantent pour se rassurer, j’imagine, monsieur, que vous voulez rire.

— Vertu-dieu ! monsieur, je ne ris point, répliqua vivement M. Des Tournelles. L’avenir est gros de tempêtes ; le ciel est chargé de nuages livides ; les passions politiques s’agitent sourdement ; le sol est miné sous nos pas. En vérité, je vous le dis, si vous ne voulez être surpris par l’ouragan, veillez, veillez sans cesse, prêtez l’oreille à tous les bruits, soyez nuit et jour sur vos gardes, n’ayez ni repos, ni trêve, ni répit, et puis tenez vos malles prêtes, afin de n’avoir plus qu’à les fermer au premier coup de tonnerre qui partira de l’horizon.

M. de La Seiglière pâlit, et regarda M. Des Tournelles avec épouvante. Après avoir joui quelques instans de l’effroi qu’il venait de jeter dans le cœur de l’infortuné :

— Sentez-vous maintenant, monsieur le marquis, l’opportunité d’une mésalliance ? Commencez-vous d’entrevoir qu’un mariage entre le fils Stamply et Mlle de La Seiglière serait, de votre part, un acte de politique haute et profonde ? Comprenez-vous qu’ainsi faisant, vous changez la face des choses ? On vous soupçonne de haïr le peuple ; vous donnez votre fille au fils d’un paysan. On vous signale comme un ennemi de notre jeune gloire ; vous adoptez un enfant de l’empire. On