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politique, et commenter les hasards de la guerre. Ce n’est pas tout encore : il faut qu’il ait un coup d’œil qui domine l’ensemble, et une main qui imprime l’unité.

M. Audin a souvent péché par le détail et surtout par l’ensemble : son livre manque complètement d’unité ; on dirait une suite de biographies peu habillement liées entre elles. Encore, si chaque biographie en particulier offrait des choses nouvelles, un document inconnu, la moindre perle long-temps enfouie et enfin retrouvée, ou un jugement original, un mot qui reste dans la mémoire ! Il n’en est pas ainsi malheureusement ; M. Audin n’écrit que des lieux communs assez élégans sur Paul Jove, Guichardin ; il est faible sur l’Arioste, et en général ses jugemens littéraires sont du Ginguené en raccourci. — Il n’y a que deux bonnes manières d’écrire la biographie : il est permis d’être long, à la condition d’être instructif, ou bref, à la condition d’être original ; mais si vous êtes abondant sans faits nouveaux, ou concentré sans frapper fort, vous n’aurez pas le prix du genre. Or, M. Audin est à la fois concis et commun, on ne peut s’empêcher de le lui dire tout en le louant d’être équitable. Il ne l’est pas toujours pourtant ; ainsi, à l’égard de Machiavel, il est d’une sévérité qui est voisine de l’injustice. Tout le monde connaît cette lettre si souvent citée où Machiavel, exilé des affaires et pauvre, raconte sa vie et ses travaux à la campagne. Peut-on lire sans émotion cette page où l’homme de génie, écrasé par les circonstances raconte sa chasse aux grives, ses conversations au cabaret avec des meuniers et des charbonniers, et, le soir, ses graves entretiens avec les grands hommes de l’antiquité ? Il sourit d’abord au récit de ses misères ; mais, à la fin, il laisse échapper un cri, il étouffe, il demande de l’air ; l’oisiveté le tue. Qu’on m’emploie, s’écrie-t-il dût-on m’employer à retourner des pierres ! Ce cri de désespoir poussé par un homme de génie qui sent sa force et qui se consume dans l’abandon et l’oubli, M. Audin ne le comprend pas et le flétrit amèrement. Il n’a pas d’expressions assez dures pour stigmatiser l’obséquiosité de ce courtisan ! Une rencontre ne lui suffit pas pour exhaler sa colère ; il redouble dans un autre endroit du livre, et termine sa violente sortie par ces mots : « Le génie commet des fautes que le simple bon sens sait éviter. C’est que le génie n’est peut-être que de la folie. » Cette dernière pensée n’est pas d’un esprit sérieux.

Le style de M. Audin est ce qu’il y a de moins défectueux dans l’ouvrage ; sans être original ni saisissant, il est parfois coloré et le plus souvent correct. Le défaut capital, j’y reviens, après le manque de nouveauté, c’est le défaut d’ensemble. Le point de soudure n’existe nulle part, et quand une chose vient en sa véritable place, c’est par hasard. L’auteur commence une biographie, l’abandonne, la reprend ; il anticipe sur les évènemens, revient sur ses pas, et cela sans motif. On marche par soubresauts dans ce livre, et on aura une idée du décousu qui règne dans ces douze cents pages sur Léon X, lorsqu’on saura que le dernier chapitre de l’ouvrage est intitulé : L’Homme intime, c’est-à-dire que la figure qui devait dominer de haut l’œuvre entière