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REVUE. — CHRONIQUE

vint à l’esprit de personne que le prince rebelle pénétrât en maître dans la capitale de la monarchie : c’est que dans toutes les rues, sur toutes les places publiques, le peuple entier était descendu en armes, décidé à se faire tuer plutôt que de le reconnaître pour son roi ; c’est que les députés eux-mêmes, qui précisément venaient de le déclarer incapables de succéder à la couronne, parcouraient la ville nuit et jour, organisés en bataillon, le fusil en main, conduits par M. Isturiz, par M. Olozaga, par M. Madoz, par M. Castro y Orozoco, par des hommes appartenant à toutes les fractions de l’opinion constitutionnelle. Parmi eux, il n’en était pas un qui ne fût prêt à mourir sous les premières balles des factieux. Au nom de sa fille ; Marie-Christine témoignait alors pour un tel enthousiasme une sincère et vive reconnaissance. Se pourrait-il que dans son palais on pensât aujourd’hui à une transaction avec le prétendant ?

Cette question est la plus grave qui, au-delà des monts, agite les esprits. À diverses reprises, le bruit s’est répandu en Europe qu’une influence que nous ne voulons pas définir, mais qui, en dernier résultat, se doit exercer profondément et sur le présent et sur l’avenir de l’Espagne, prépare de longue main entre la jeune reine et le fils du prétendant une alliance dont se trouveraient mal infailliblement les principes de la révolution. Par ses journaux, le gouvernement oppose à cette imputation d’énergiques démentis que nous croyons parfaitement sincères. Les ministres eux-mêmes, comme vient de le faire au sénat M. Martinez de la Rosa, affirment qu’elle n’a pas le moindre fondement. Nous acceptons la déclaration de M. Martinez de la. Rosa, et nous lui conseillons, pour notre compte, de la renouveler, en termes plus nets et plus précis, à la tribune du congrès. Nous désirons vivement que cela suffise pour rassurer l’opinion. Jusqu’ici, il faut bien le dire, déclarations et démentis ont été impuissans à lui ôter ses inquiétudes ; un instant apaisées, les alarmes se sont reproduites aussi vives que jamais, toujours de nature à compromettre la paix publique. Nous le demandons encore une fois, est-il bien politique de solliciter en ce moment des cortès un vote par lequel elles abandonnent au gouvernement le soin exclusif de marier la reine ? Au fond, ce ne sont point ici les dispositions particulières de tel ou tel ministère qui importent ; depuis qu’on s’inquiète jusque dans le sein du parti modéré de l’influence dont nous venons, de parler, combien de ministères se sont succédé en Espagne, différant tous les uns des autres par les principes et par les intentions ! Que M. Martinez de la Rosa soit, en effet, hostile à un projet d’alliance entre la reine Isabelle et le prince des Asturies, est-ce là pour l’avenir une garantie suffisante ? M. Martinez de la Rosa peut-il se porter caution pour le libéralisme ou le patriotisme du ministère qui tôt ou tard remplacera celui qu’il dirige ? Peut-il répondre, en un mot, que ce ministère n’abusera pas du vote de confiance qu’il va demander aux Cortès ?

Nous ne sommes pas les adversaires des hommes qui gouvernent l’Es-