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le bas peuple, et à témoigner naïvement toute sa frayeur sur l’étendue du danger qu’il venait de courir, tandis qu’il devait, en réalité, la tranquillité publique aux libéraux. Le mouvement contremandé de 1843 a été la plus vaste conspiration italienne depuis 1821, le chef-d’œuvre des sociétés secrètes, le dernier effort de l’alliance des modérés et des exaltés, la plus habile manœuvre de cette opposition occulte et permanente qui essaie ses forces depuis 1814 en Italie. La persuasion intime et profonde que toutes les ressources de la modération ont été épuisées en 1821 et en 1831, qu’il faut un combat, que le temps des transactions est passé, qu’il faut imiter la république française, voilà ce qui atteste encore aujourd’hui dans le parti démocratique italien l’influence persistante des traditions de 1793 et de 1830. D’un autre côté, la conviction non moins intime et profonde que les moyens extrêmes de la démocratie n’ont pas de force en Italie, qu’ils ne peuvent pas soulever les masses qu’il faut chercher un point d’appui dans la diplomatie, qu’il faut ajourner la conquête de la liberté pour obtenir avant tout l’indépendance du pays, telle est aujourd’hui la profession de foi du parti modéré, qui résume les traditions de la ligue noire, de la société des Rayons, du carbonarisme et du bonapartisme. Ce parti voudrait se rapprocher de la cour de Turin ; il n’a jamais oublié que le fils d’Eugène Beauharnais est à la cour de Saint-Pétersbourg.

Ainsi le congrès de Vienne triomphait, en 1814, de l’Italie libérale, et la révolution protestait, en 1821, par les soulèvemens militaires de Naples et du Piémont. Le congrès de Laybach dispersait les soulèvemens, et, dix ans plus tard, ils se reproduisaient dans la Romagne. Le mémorandum des cinq cours rentrait d’une manière détournée dans le système du congrès de Vienne, et aujourd’hui une conspiration invisible, plane sur toute l’Italie, depuis Venise et Bologne jusqu’en Sicile. Un guerillero hardi, une émeute à Cosenza, une bande dans la Romagne, ne sont pas dés évènemens ; ce sont des symptômes. L’exaspération conduit quelques jeunes gens au martyre, et malheureusement les causes de l’exaspération subsistent. Le système autrichien a pu vaincre jusqu’à ce jour la révolution, parce qu’elle n’était pas dans les masses, parce qu’elle pouvait se concilier passagèrement avec l’administration de Joseph II, parce que le mouvement spontané des peuples ne conduisait qu’à la publication des codes. L’Autriche, en 1814, a donc publié des codes, et les révolutionnaires qui demandaient plus, faibles, isolés comme en 1791, étaient forcés de se cacher comme en 1796. Plus tard, ils obéissaient à l’impulsion étrangère de la seconde insurrection espagnole et des journées de