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un pamphlet ardent, coloré, qui à plus de cinquante ans de distance vous émeut et vous entraîne par l’impétueuse décision de ses allures.

Il est des esprits heureux qui savent mêler l’enjouement à la gravité. Ils servent leurs opinions non-seulement par des travaux sérieux, mais par une gaieté inépuisable ; ils combattent en riant. Tel était Rivarol. Il ne lui suffisait pas d’écrire l’histoire contemporaine avec cette rapidité lumineuse qui est une des meilleures qualités de l’école de Voltaire, il avait aussi quelque chose de la puissance facétieuse de l’auteur de Candide, et il avisa comment il pourrait lancer contre le parti de la révolution tous les traits mordans et cruels que lui fournissait sa verve. Il avait d’ailleurs des amis tout prêts à mettre en commun leur colère et leurs bons mots. Un pamphlet collectif reçût le titre assez irrévérencieux d’Actes des Apôtres. Les royalistes imitèrent Voltaire : à leurs yeux, la révolution française était comme une religion dont ils voulurent faire une critique railleuse. Les Actes des Apôtres eurent pour principaux rédacteurs, avec Rivarol., le chevalier de Champcenetz, officier aux gardes françaises, maniant avec la même audace la plume et l’épée, Peltier de Nantes, le vicomte de Mirabeau, qui s’était fait du sarcasme une étude pour pouvoir se défendre contre la monstrueuse supériorité de son frère. Les rédacteurs des Actes des Apôtres, qui ne signaient point leur feuille, mais dont Paris savait les noms, s’annoncèrent plaisamment comme voulant défendre l’assemblée constituante contre les aristocrates. Ayant une fois pris ce tour ironique, ils se mirent à tout attaquer dans la cause de la révolution, les doctrines et les hommes, les talens et les réputations, non moins que les principes. Dans cette immolation universelle, les têtes les plus illustres furent les plus frappées. Lafayette, Mirabeau, Barnave, eurent l’honneur des plus rudes atteintes. Que de pasquinades à l’adresse de Target et de Chapelier ! On peut juger si on épargnait l’abbé Sieyès et l’évêque d’Autun. Tout ce que les mœurs nouvelles, si brusquement improvisées par notre régénération sociale, pouvaient avoir d’étrange, d’impoli, de ridicule, devenait l’objet d’une raillerie impitoyable. Toutes les formes étaient employées : tantôt c’étaient des lettres trouvées dans la poche d’un aristocrate, et qu’on publiait pour avertir la nation des périls qui la menaçaient ; tantôt les facétieux rédacteurs parodiaient des scènes de Racine et de Voltaire, des vers de Gilbert et de Boileau. C’était un déluge d’impromptus et d’épigrammes, par lesquels ces tirailleurs royalistes harcelaient l’armée révolutionnaire.