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de leurs intérêts. Je sais aussi que cet usage n’est particulier ni à Paris ni à la France, et qu’il semble consacrée par une apparente nécessité. En y regardant de près cependant, on reconnaît tout ce qu’un pareil ordre de choses a de faux et de fragile. La tutelle, de l’enfant est déléguée ainsi à l’homme le moins capable de l’exercer, et il en résulte pour le jeune ouvrier tantôt une servitude étroite, tantôt, ce qui vaut pas mieux, une indépendance absolue.

Rien n’est plus facile, à mon sens, que de donner un autre cours aux habitudes. Il suffit que la loi impose au fabricant qui emploiera de jeunes enfans le devoir de traiter directement avec les parens. Les ouvriers s’entendront ensuite avec lui pour le choix des auxiliaires qui leur seront attribués. Le fabricant fournit les métiers, les matières premières, le local et le moteur ; pourquoi ne serait-il pas chargé de procurer les enfans qui servent d’appoint à l’homme ou aux machines ? Quand il sera connu que l’admission des enfans dépend, comme celle des adultes, de la volonté du manufacturier, les parens, qui s’adressaient aux ouvriers faute de mieux, viendront faire inscrire leurs demandes à l’avance dans ses bureaux, et le recrutement des ateliers s’opérera ainsi sans obstacle ; quant aux ouvriers, la certitude de trouver dans le personnel de la fabrique des auxiliaires plus réguliers et assujettis à une discipline constante les dédommagera promptement de la dictature contestée et dans tous les cas précaire qu’ils ont usurpée jusqu’à présent. Sans cette réforme dans les attributions respectives du maître et de l’ouvrier, il n’y a pas d’ordre possible. Lorsque le travail associe directement l’enfant à l’adulte, celui-ci est toujours tenté d’abuser de sa supériorité pour opprimer ou pour corrompre ; hâtons-nous de modifier des rapports dont la morale a, si souvent à gémir.

La loi du 22 mars, sans atteindre le but qu’elle poursuivait, a pourtant exercé une influence salutaire sur l’industrie à Paris. Dans les arrondissemens d’inspection, où le contrôle n’est pas purement nominal, en obligeant les manufacturiers à ne pas faire travailler les enfans de douze à seize ans au-delà de douze heures par jour, elle a réduit généralement la durée du travail à douze heures pour tous les ouvriers. Dans les ateliers de papier peint et dans les filatures, la journée commence à six heures et demi du matin pour finir à huit heures du soir du soir ; là-dessus, une heure et demie est accordée aux ouvriers pour leurs repas. Seulement, les adultes profitent de cette amélioration beaucoup plus que les enfans, au bénéfice desquels on pensait l’avoir stipulée. En effet, dans l’intervalle donné à la récréation,