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les clauses du contrat soient soumises à l’approbation du juge de paix. L’intervention de ce magistrat aura pour objet de s’assurer que le maître présente les garanties désirables, et qu’il adopte l’enfant au lieu de l’acheter comme une marchandise. De cette manière, le contrat d’apprentissage sera une véritable transmission de tutelle, consacrée par la présence du juge et revêtue du sceau de la loi. Il faudra exiger en outre que tout apprenti, pendant la durée de l’apprentissage, fréquente une école publique au moins deux heures par jour. A Lille, une classe spéciale est ouverte aux apprentis de midi à deux heures ; le même usage s’étendrait sans difficulté à toutes les villes industrieuses, et l’assiduité à l’école deviendrait ainsi, dans les petits ateliers comme dans les manufactures, le correctif le plus sûr du travail.

M. le préfet de police a ordonné un recensement général des ateliers de toute nature dans Paris, en vue d’une loi sur l’apprentissage et pour en fournir les élémens. La même mesure, appliquée à la France entière, préparerait d’excellentes bases de discussion. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous n’avons que trop négligé l’éducation publique, ce devoir qui est le premier de toute société. Nous avons combattu, par les armes et par la pensée, pour affranchir les hommes mais qu’avons-nous fait pour les enfans ? L’instruction primaire, abandonnée à ses propres forces sous l’empire, à demi proscrite sous la restauration, n’est dotée aux frais de l’état et des pouvoirs locaux que depuis la révolution de juillet. Encore la dotation a-t-elle été mesurée avec tant de parcimonie, que l’enseignement du peuple, qui devrait attirer les hommes capables, demeure le lot et le pis-aller de ceux qui n’ont pu trouver accès à un poste plus lucratif. Quant à l’enseignement professionnel, les enfans qui sont réduits à l’acheter par leurs services ne l’obtiennent qu’au prix de leur santé, et de leur moralité. Nous formons des sociétés pour travailler à l’abolition de l’esclavage dans nos colonies, et nous oublions, dans nos efforts, ces malheureux serfs de la famille, ces enfans du pauvre, condamnés, presque dès leur naissance, une existence qui étouffe en eux le germe de la vigueur physique et du bien moral ! Comment s’étonner, après cela, de ce que le crime et la misère débordent ? et à quoi nous servent les progrès combinés de la richesse et des lumières, tant que la moitié d’une population comme celle de Paris aboutit à la prison ou à l’hôpital ?


LÉON FAUCHER.