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à cause de l’extravagance de son nom de ses statuts. Elle s’appelait académie des Granelleschi, c’est-à-dire des amateurs d’âneries. Gaspard Gozzi faisait déjà partie de cette réunion ; il lut à ses confrères plusieurs morceaux légers de Charles Gozzi, qui fut élu membre de l’académie. Un vieux seigneur maniaque, infatué de lui-même et grand rimailleur, comme on en voit beaucoup en Italie, fut choisi pour président par une élection ironique. A chaque séance, ce président, monté sur un trône festonné, lisait d’une voix de fausset quelque pièce de vers toujours applaudie, et ces succès de ridicule, qu’il prenait pour bons, lui méritèrent le titre glorieux d’arcigranellone, ce qui veut dire littéralement archi-imbécile. Les autres membres de cette académie étaient des savans, des bibliophiles, des poètes et des écrivains distingués. On était en rapports avec l’académie de la Crusca, on introduisait à Venise les bons livres florentins, et on y répandait le goût du style pur et naturel, que le ribombo et le galimatias avaient détrôné depuis long-temps.

Tout le bien que les Granelleschi avaient fait se trouva détruit un beau jour par Goldoni, écrivain barbare, qui n’avait d’esprit qu’en parlant les patois de Venise et de Chioggia. Goldoni, pénétré de la lecture de Molière, avait adopté ce poète pour son modèle ; mais comme il traduisait aussi les continuateurs de Molière, il se croyait sur les traces du plus grand comique du monde, tandis qu’il suivait à la piste Destouches et tous les auteurs de troisième ordre. Jusqu’alors la comédie italienne n’avait pas observé de règles. Les acteurs italiens ayant au plus haut degré le don précieux de l’improvisation, la moitié de la pièce était écrite, l’autre moitié abandonnée à l’inspiration des acteurs. La portion écrite était en toscan, l’autre en dialecte. Ce genre existe encore à Naples, où il jouit d’une faveur méritée. A Venise, quatre masques bouffons et improvisateurs revenaient dans toutes les pièces : le Tartaglia, bredouilleur ; le Truffaldin, caricature bergamasque ; le Brighella, représentant les orateurs de places publiques et d’autres types populaires ; et enfin le célèbre Pantalon, le bourgeois vénitien personnifié avec tous ses ridicules, et dont le nom a une étymologie digne d’un commentaire. Ce mot vient de pianta-leone (plantelion) les anciens marchands de Venise, dans leur fureur d’acquérir des terres au nom de la république, plantaient à tout propos le lion de Saint-Marc sur les îles de la Méditerranée ; et comme ils venaient se vanter de leur conquête, le peuple se moquait d’eux en les baptisant plante-lions. Ce démocratique sobriquet rappelle l’aventure de Cicéron, poursuivi par les enfans de Rome, qui criaient derrière lui :