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pour chercher de l’emploi ; la spéculation se mettant de la partie, les directeurs de Sant’Angelo, du théâtre de Mantoue, et même celui de la Comédie-Italienne de Paris, leur firent des propositions. Darbès et Fiorilli, gagnés à force d’argent, quittèrent San-Salvatore, pour entrer, dans la troupe rivale, de sorte que Gozzi se trouva en peu de temps sans Tartaglia et sans Pantalon. Par une transformation subite, il donnait des pièces sérieuses tandis que ses concurrens héritaient de son genre et de ses acteurs comiques. Comme dans le Roi cerf, l’amour lui avait fait imprudemment laisser son corps pour passer dans celui d’un autre, qui avait pris immédiatement sa place. Heureusement, si Darbès et Fiorilli emportaient la gaîté avec eux, ils ne donnaient point le génie fiabesque aux mauvais et obscurs faiseurs du théâtre Sant’Angelo ; mais la décadence et la dispersion de la troupe Sacchi n’en étaient pas moins inévitables. Truffaldin prenait de l’âge et perdait ses jambes. Pour surcroît de complication, ce vieux fou s’avisa d’être amoureux de la Ricci, et malgré ses soixante-dix ans il donna de l’ombrage à notre poète, qui voulait bien se contenter du titre d’ami, à condition de ne point voir d’amant en titre. Un jour Gozzi trouva sa belle occupée à tailler du satin blanc pour faire une robe. C’était un cadeau de Sacchi, et la jeune première, avec la naïveté italienne, aurait bien voulu conserver à la fois les aunes de satin et sa vertu. La chose étant décidément impossible, elle garda le satin.

Avant l’arrivée de cette actrice, Gozzi, sans prédilection dans la troupe, également sévère et juste pour tout le monde, dressait ses artistes et les pliait à ses fantaisies. Une fois amoureux, il se laissa mener et se plia lui-même aux caprices d’une femme sans intelligence. Teodora n’entendait rien à la comédie dell’arte, ni aux conceptions poétiques, encore moins au merveilleux mauresques ou persan, pas davantage aux allégories. Elle suivait des routines de déclamation, s’habillait d’un manteau piqué des vers de la tradition, et ne jouait bien que les drames compilés et empruntés. Gozzi emprunta et compila pour lui plaire. Il traduisit le Gustave Vasa de Piron, la Chute de doña Elvira, pièce espagnole, la Femme vindicative, etc. Le public applaudissait par complaisance, mais il ne reconnaissait plus le père original, hardi et volontaire de Turandot et des Trois Oranges. Gozzi, mécontent, bouda contre les Vénitiens pendant quelques années. Il laissa la Ricci jouer son antique répertoire d’ouvrages classiques et usés. Ce temps de repos ne fut pas inutile à cet esprit dérouté. Le poète se retrempa dans le silence. On le revit comme autrefois se promener à Saint-Moïse, dans les coins et les petites rues, le menton incliné, comptant