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ces forces homogènes, compactes, démocratiques, nationales, dans le plus large sens du mot, dont elle proclame l’avènement ? Ce n’est pas notre affaire de le prédire ; mais nous n’avons pas de scrupule à le souhaiter. De toute manière, il me semble que cette école méritait d’être signalée à la France : par la générosité de ses intentions, par l’admiration et la sympathie qu’elle témoigne à la civilisation française, par l’effort qu’elle tente pour assimiler la constitution politique de l’Angleterre à celle que le travail différent de notre histoire nous a donnée, je crois que cette école est digne d’exciter en France quelque intérêt. Cependant, pour ma part, s’il m’était permis de lui adresser des avis, je lui donnerais deux conseils : je l’inviterais à montrer plus de ménagemens et plus d’indulgence au gouvernement actuel de’ l’Angleterre, au ministère de sir Robert Peel, qui dépense tant d’habileté à maintenir l’équilibre entre les intérêts compliqués qui pèsent aujourd’hui sur le pouvoir. Je conseillerais ensuite à la jeune Angleterre de moins se complaire dans les sphères de la politique contemplative, de ne pas dédaigner les plus minutieux détails des affaires. C’est sans doute un noble et attrayant emploi de ses loisirs de poursuivre des deux ailes de l’imagination et de la pensée de prestigieuses théories : il y a dans la tâche de l’action quotidienne, avec ses résultats souvent imperceptibles et continuellement disputés, une œuvre plus grande et une plus mâle poésie. Combien le capitaine du champ de bataille, celui que la nécessité forcé à demander conseil, avant tout aux inspirations du génie, qui brave les fatigues et la mort, et qui tient les destinées de sa patrie suspendues à la moindre de ses résolutions, n’est-il pas supérieur au stratégiste de cabinet ! Vainement les jeunes gens dont je parle allègueraient-ils leur âge, dont les ondoyantes fantaisies se prêtent si bien à la politique contemplative : les fraîches facultés de la jeunesse sont plus puissantes encore dans la politique d’action. Un maître l’a dit. A la dernière page du Prince, Machiavel se demande si la circonspection est préférable à l’énergie dans la conduite des affaires, lequel vaut mieux en somme de ménager ou de rudoyer la fortune. Le Florentin se décide pour l’action hardie, et il en donne cette poétique raison que la fortune est une femme qu’il faut prendre de force ; puis il ajoute, dans sa langue mélodieuse : Però sempre, come donna, è più amica de’ giovani perchè sono meno rispettivi, più feroci e con più audacia la commandano. « Aussi, en femme qu’elle est, ses préférés sont toujours les jeunes gens, parce qu’ils sont moins méticuleux, parce qu’ils sont plus fiers, et qu’ils la commandent avec plus d’audace. »


E. FORCADE.