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tendre et de ne rien voir venir, acculé dans une impasse et n’apercevant point d’issue, il y avait cent à parier contre un que le marquis sortirait de là brusquement, par un coup de foudre ; mais nul pas même Mme de Vaubert, n’aurait pu prévoir quelle bombe allait éclater si ce n’est pourtant M. Des Tournelles, qui en avait allumé la mèche.

Un soir d’avril, seule avec le marquis, Mme de Vaubert était silencieuse et regardait d’un air visiblement préoccupé les lignes étincelantes qui couraient sur la braise à demi consumée, il eût été facile en l’observant, de se convaincre qu’une sourde inquiétude pesait sur son cœur comme une atmosphère orageuse. Son œil était vitreux, son front chargé d’ennuis, et les doigts crochus de l’égoïsme aux abois pinçaient et contractaient sa bouche, autrefois épanouie et souriante. Cette femme avait, à vrai dire, d’assez graves sujets d’alarmes. La situation prenait de jour en jour un caractère plus désespérant, et Mme de Vaubert commençait à se demander si ce n’était pas elle qui s’allait trouver enveloppée dans ses propres lacets. Décidément Bernard était chez lui, et bien qu’elle n’eût pas encore perdu tout espoir, quoiqu’elle n’eût point encore jeté, comme on dit, le manche après la cognée, prévoyant cependant qu’une heure arriverait peut-être où M. de La Seiglière et sa fille seraient obligés d’évacuer la place, la baronne dressait déjà le plan de campagne qu’elle aurait à suivre dans le cas où les choses se dénoueraient aussi fatalement qu’il était permis de le craindre ; n’admettant pas que son fils épousât Mlle de La Seiglière sans autre dot que sa jeunesse, sa grâce et sa beauté, elle cherchait déjà de quelle façon elle devrait manœuvrer pour dégager vis-à-vis d’Hélène et de son père la parole et la main de Raoul. Tel était depuis quelques semaines le sujet inavoué de ses secrètes préoccupations.

Tandis que Mme de Vaubert était plongée dans ces réflexions, assis à l’autre côté du foyer, le marquis, silencieux comme elle, se demandait avec anxiété de quelle façon il allait engager la bataille qu’il était sur le point de livrer, et comment il devait s’y prendre pour dégager vis-à-vis de Raoul et de sa mère la parole et la main d’Hélène.

— Ce pauvre marquis ! se disait la baronne en l’examinant de temps en temps à la dérobée ; s’il faut en venir là, ce lui sera un coup terrible. Je le connais : il se console en pensant que, quoi qu’il arrive, sa fille sera baronne de Vaubert. Il m’aime, je le sais ; voici près de vingt ans qu’il se complaît dans la pensée de resserrer notre intimité, et de la consacrer en quelque sorte par l’union de nos enfans. Excellent ami ! où puiserai-je le courage d’affliger un cœur si tendre et si dévoué