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de Lianor d’Albuquerque[1], charmante fille de Garcia de Sa, vice-roi de l’Inde. On verra, dans la peinture de cette première scène combien la touche de Corte Real réunit à la fois de naturel et d’éclat. La fiction qui couronne ce morceau me paraît un habile et gracieux mélange des souvenirs de la mythologie grecque et de la féerie orientale.

« Déjà l’heure joyeuse et redoutable approche ; tous, en silence et en prière, demandent au ciel une heureuse délivrance. On se presse, on s’agite sans bruit : les servantes timides ne connaissent pas le repos. Les unes, au moindre cri, s’élancent vers la porte avec inquiétude ; les autres, entendant la voix de celle qui remplit les fonctions de Lucine, sentent naître dans leur esprit incertain un trouble indicible, une grande espérance. Déjà les amies arrivent ; sous une gaîté feinte, sous un rire forcé, elles cachent la peine secrète et les appréhensions qu’excite en elles le dangereux et douloureux état de leur amie. Cependant résonne la voix tremblante et cassée de la matrones pleine d’expérience. Pour tromper le temps, elle raconte de merveilleux récits, des histoires joyeuses. Enfin le moment est venu : l’événement sera-t-il heureux ou contraire ? Tous les cœurs palpitent de crainte et d’espérance. Prudente et sage, en une telle conjecture, la matrone invoque la divine assistance. De tendres pleurs se mêlent à un cri de triomphe. Aussitôt, les bras en l’air, toutes s’en vont courant çà et là, répandant l’heureuse nouvelle. On se presse ; on veut voir l’objet charmant, le présent presque divin : « Que Dieu te donne, disent-elles, un sort prospère, égal à la beauté dont il t’a dotée ! » Chacun fait le signe de la croix, ce signe révéré qui éloigne le mauvais œil et met en fuite le pervers et mortel ennemi du genre humain. Enveloppée de riches étoffes, la tendre créature s’attache au sein, blanc et gonflé de celle qu’on a choisie pour la nourrir… » Mais voici le surnaturel :

« On voit alors entrer, avec une contenance assurée, trois femmes semblablement vêtues et d’une égale beauté ; toutes trois portent une tunique de blanche soie. Bien que leurs corps aient l’apparence de ceux des mortels, ce ne sont pourtant que de vaines et fantastiques images, dont l’air, en se condensant, a formé les contours. Le front serein, le sourire sur les lèvres, elles pénètrent dans l’appartement où repose la jeune Lianor. Elles approchent, et disent : « Que Dieu te garde, charmante et parfaite créature ! que le ciel, qui t’a réparti

  1. Corte Real nomme son héroïne Lianor de Sa, tandis que Diogo do Couto l’appelle Lianor d’Albuquerque.