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fois par le conseil ; chaque nom avait été l’objet d’un examen prolongé ; chaque ministre était venu défendre ses sympathies privées ou ses combinaisons politiques. Des discussions interminables avaient eu lieu devant le roi. Enfin, après des hésitations sans nombre, la liste est arrêtée ; elle va paraître au Moniteur ! et voilà que tout à coup on annonce qu’elle ne paraîtra pas ! Pourquoi ? Parce que le ministère craint de perdre deux ou trois voix dans la chambre des députés ! la pairie avait été promise à plusieurs membres de la chambre. Les nommer, c’était courir le risque de les voir remplacés par des députés hostiles au cabinet ; ne pas les nommer, c’était s’exposer à leur ressentiment. Dans cette alternative, qu’a fait le ministère ? Il s’est abstenu, il n’a nommé personne. Tout le travail est annulé ! En bonne conscience, ce n’est pas nous qui déplorerons ce résultat. Nous sommes persuadés que la liste projetée eût révélé de singulières préférences. Nous sommes peu disposés à plaindre certaines célébrités, ou, si l’on veut, certaines illustrations mécontentes, que ce contre-temps cruel forcera de prendre patience et d’attendre pendant quelques mois encore, pendant une année peut-être, à la porte du Luxembourg. Nous sommes convaincus que beaucoup de notabilités très contestables se seraient glissées dans la foule des nouveaux élus, et le chancelier, nous en sommes sûrs, n’est point fâché de ce dénouement. La pairie n’y perdra rien, ou peu de chose ; mais que penser de la situation d’un ministère qui, après avoir formellement promis le manteau de pair à quelques membres de la chambre, n’ose pas remplir sa promesse, de peur de rencontrer dans les élections nouvelles deux ou trois collèges hostiles ? Que penser de la force d’un cabinet qui, la veille d’une session, se déclare perdu, si quatre ou cinq voix de sa majorité lui échappent ?

Qu’on vienne nous dire maintenant que le ministère du 29 octobre ferait, heureusement les élections, que le pays est pour lui, que sa politique a une immense majorité dans les collèges ! Quoi ! le ministère actuel serait chargé de faire les élections générales, et il n’ose s’aventurer dans quelques élections partielles ! Il recevrait, dans un an ou deux, la redoutable mission de faire un appel universel au pays, et aujourd’hui, lorsqu’il se proclame vainqueur de toutes les oppositions réunies, lorsqu’il nage dans la joie de son triomphe de quatre ans, lorsqu’il peut exploiter sur des imaginations crédules les heureux effets du voyage du roi, lorsque la discussion parlementaire n’a pas encore dévoilé ses fautes, lorsqu’enfin sa politique est, suivant lui, à l’apogée de sa gloire, il n’ose tenter la fortune électorale dans cinq ou six arrondissemens ! Les dangers d’une situation pareille ont-ils besoin d’être démontrés ? Les chambres et la couronne n’ont-elles pas ici de graves devoirs à remplir ?

Nous ne parlerons aujourd’hui que pour mémoire de la dotation. Dites- nous si c’est là une affaire qui ait prouvé jusqu’à présent la force et la confiance du cabinet ! Tous les jours, la question est agitée, et l’opinion de la veille n’est plus celle, du lendemain. Le projet sera-t-il présenté ou non ? Le