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commencerait à se faire sentir dès qu’ils auraient pris quelque consistance, et s’accroîtrait à mesure qu’ils avanceraient.

Je ne m’abuse pas sur la gravité des objections auxquelles ne manquera pas de donner lieu l’élévation de la dépense : on dira qu’avec les charges que imposent la construction des chemins de fer, nos victoires en Algérie, le protectorat d’O-Taïti, les frais courans de la marine royale elle-même, le pays n’est pas en état de s’engager dans de pareilles entreprises. Je ne parle pas de l’opinion de l’Angleterre, qui trouverait peut-être la chose un peu plus sérieuse que la conquête des îles Marquises. Si nos pères s’étaient arrêtés à des obstacles de cet ordre, ils n’auraient pas entrepris la digue de Cherbourg, qui, beaucoup moins avantageusement placée, doit coûter 80 millions ; ils l’ont fondée cependant, et qui oserait les en blâmer ? Avant de condamner le projet d’établissement d’une rade dans le Pas-de-Calais, il faudrait examiner si dans nos dépenses maritimes, aucune somme de 30 à 40 millions ne reçoit un emploi moins profitable à la puissance navale de notre pays. On pourrait soutenir, sans trop de désavantage, que la rade de Boulogne, précisément à cause de sa situation à sept heures de Paris, à trois heures de l’embouchure de la Tamise, serait un assez bon moyen de défense de nos possessions les plus lointaines. Les bonnes positions militaires sont celles où l’on est à la fois à portée de ses ressources et des parties vulnérables de l’ennemi ; les avantages qu’on obtient, les défaites qu’on essuie dans les autres, ne sont jamais que secondaires, et peu importe d’être en forces au loin si l’on est faible chez soi. En nous fortifiant sur la Manche, nous nous dispenserions peut-être de faire ailleurs des dépenses de beaucoup supérieures. Ainsi, nos possessions et nos protectorats dans l’Océan Pacifique nous coûteront annuellement beaucoup au-delà de l’intérêt du capital nécessaire pour la construction de la digue de la Bassure : protégeront-ils jamais autant d’intérêts français ? Tiendront-ils au même degré nos ennemis en échec ? Les marchands de Londres n’aimeraient-ils pas mieux, en temps de guerre, savoir nos escadres dans la rade de Nouka-Hiva que dans celle de Boulogne ? Les avantages d’une position ne sont pas tous dans ce qu’elle a de menaçant : le rôle de la France est d’être à la tête des marines secondaires de l’Europe, et en alliance intime avec les marines du Nouveau-Monde : notre importance aux yeux des unes et des autres, leur confiance en notre appui, leur opinion de l’efficacité de notre médiation, se mesurent à l’étendue des services que nous sommes en état de leur rendre ; or, que pouvons-nous faire de mieux pour elles que de leur assurer un refuge dans les