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bonne aux crevettes est-elle un trésor. Ces dames n’hésitent pas à attribuer à la pratique de cet exercice leur merveilleuse santé et, s’il en est ainsi, la faculté ne fera jamais, en faveur des bains de mer, de livre qui vaille une promenade à Etaples. Elles sont, dit-on, aussi sages et aussi fidèles que laborieuses, et professent un parfait dédain pour tout ce qui n’est pas homme de mer et du pays : elles ont raison ; c’est ainsi que se conservent le bonheur des familles, la beauté des races, et, s’il faut tout dire, il leur serait difficile de ne pas perdre au change. Le port, ou plutôt la plage, possède aujourd’hui trente-quatre bateaux de pêche fort bien construits, et semblables, au tonnage près, à ceux de Boulogne. Chaque bateau est monté par huit hommes, et la pêche se fait à la part ; elle fournit par an de deux à trois cent mille kilogrammes de poisson frais à l’approvisionnement de Paris ; le surplus se consomme sur les lieux et dans les villes environnantes. Les bateaux d’Étaples vont aussi pêcher au loin le hareng dans la Manche. À en juger par l’air de contentement de la population, bien habillée, bien nourrie, le métier n’est pas mauvais. Telle est l’heureuse et honorable obscurité dans laquelle Étaples se repose entre son ancienne illustration et l’avenir que lui promet le chemin de fer.

La baie de la Canche était, sous les Romains, une des stations de la flotte préposée à la garde des côtes de la Morinie et de la Bretagne. Sous la seconde race, le commerce d’Étaples s’étendit beaucoup ; Charlemagne y établit un intendant pour la perception des impôts, et l’on y battit monnaie[1]. Le traité de paix entre Henri VII d’Angleterre et Charles VIII y fut signé en 1492 ; mais tous ces souvenirs sont effacés par celui de Napoléon, qui, en 1804, pendant le camp de Boulogne, vint plusieurs fois visiter à Étaples la division de gauche de la flottille et le corps d’armée du maréchal Ney, laissant pour traces de son passage la route de Boulogne et l’embarcadère de la Canche.

Le chemin de fer de Boulogne dotera encore mieux Étaples. Un pont de 200 mètres d’ouverture va le mettre en contact avec les riches campagnes de la rive gauche de la Canche ; les endiguages accessoires cette grande construction amèneront nécessairement la formation de nouveaux polders, semblables à ceux qui existent déjà, et dont le prix atteint 6,000 francs l’hectare. Si la surface inerte des dunes se couvre de bois, la création de cette richesse réagira sur le voisinage bien long-temps avant l’époque de son exploitation régulière. Étaples, devenant par la convergence de la navigation et de la voie de fer le foyer

  1. Bertrand, Histoire du Boulonnais.