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plus ou moins mousquetaires, se montraient fidèles en cela aux habitudes de leurs siècle comme aussi aux instincts de leur origine.

Le créole de ces deux îles, où notre élégie et notre idylle ont eu leur berceau, offre en effet des caractères d’esprit et de sensibilité très reconnaissables. Pour peu que l’éducation et la culture l’aient touché, il est (à en juger par la fleur des générations aimables et distinguées que nous en avons pu successivement connaître), il est ou devient aussitôt disposé à la poésie, à une certaine poésie, de même encore qu’il l’est naturellement à la musique. Son oreille délicate appelle le chant, sa voix trouve sans art la mélodie. Indolent et passionné, sensible et un peu sensuel, il se fût long-temps contenté de Parny sans doute, mais Lamartine, en venant, lui a enseigné une rêverie qui complète le charme et qui ressemble, par momens, à la tendresse. Plus porté aux sentimens qu’aux idées, la jeunesse lui sied bien et devrait lui durer toujours, le créole est comme naturellement épicurien. M. de Chateaubriand, qui visita Parny vers 1789, a dit du chantre d’Eléonore, dans une simple image qui reste l’expression idéale de ce genre de nature et d’élégie : « Parny ne sentait point son auteur ; je n’ai point connu d’écrivain qui fût plus semblable à ses ouvrages : poète et créole, il ne lui fallait que le ciel de l’Inde, une fontaine, un palmier et une femme[1]. »

Tel était Parny, ou du moins tel il aurait dû être, s’il n’avait suivi que ses premiers penchans et si l’air du siècle, ne l’avait pas trop pénétré. Mais la nature voluptueuse du créole s’imprégna en lui de bonne heure de la philosophie régnante, et tout d’abord cette philosophie semblait, en effet, n’être venue que pour donner raison à cette nature ; l’accord entre elles était parfait. Tandis pourtant que la nature, sans arrière-pensée, n’aurait eu que sa mollesse, sa tendre et gracieuse nonchalance, la philosophie avait son venin, il se déclara chez Parny en avançant. Un judicieux critique l’a remarqué, avant nous, en des termes excellens : « Les traces des principes à la mode, dit M. Dussault[2], parurent s’approfondir en lui par le progrès des ans ; et, sans avoir jamais été peut-être pour M. de Parny des règles bien arrêtées, elles devinrent d’insurmontables habitudes. Quand son cœur fut épuisé, il ne trouva plus qu’elles dans son esprit.. » Oui, il vient un âge

  1. C’est un souvenir des Mémoires que j’ose placer là ; quoiqu’il y ait des années que j’aie entendu ce passage, je ne crois pas citer trop inexactement.
  2. Annales littéraires de Dussault, t. IV, p. 392, notice sur Parny.