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sincères. Dans un fort agréable Précis historique de lui sur la vie de M. de Bonnard[1], on lit : « C’était le moment où presque tous les jeunes talens, et même ceux qui n’aient plus jeunes, voulaient mériter la gloire par des bagatelles, par des caprices, par des fantaisies, et semblaient croire que, pour se faire un nom immortel, il n’y avait rien de tel que des poésies fugitives : les poètes n’étaient plus que des petits-maîtres qui parlaient, en vers gais, des femmes qu’ils avaient désolées, des congés qu’ils avaient donnés, et quelquefois même, pour étonner par le merveilleux, de ceux qu’ils avaient reçus ; des maris qu’on trompait pour les rendre heureux, et qu’on priait en grace d’être un peu plus jaloux que de coutume… » Au nombre des ouvrages qui contribuèrent à ramener la poésie à la nature, Garat met en première ligne les poèmes de Saint-Lambert, de Delille et de Roucher sur la campagne, et les élégies amoureuses des chevaliers de Bertin et de Parny. Il y a là, selon nous, bien du mélange ; mais enfin l’impression des contemporains était telle, et Voltaire, qui avait salué le traducteur des Géorgiques du nom deVirgilius-Delille, avait le temps, avant de mourir, et dans son dernier voyage de Paris, de donner l’accolade à Parny en lui disant : Mon cher Tibulle !

C’est de cette gloire, un moment consacrée, qu’il s’agit aujourd’hui de nous rendre bien, compte. Il serait vraiment fâcheux pour nous que ce qui a paru une nuance si délicate et en même temps si vive aux contemporains de Parny nous échappât presque tout entier, et qu’en le feuilletant après tant d’années, nous eussions perdu le don de discerner en quoi il a pu obtenir auprès des gens de goût ce succès d’abord universel, en quoi aussi sans doute il a cessé, à certains égards, de le mériter.

Parny avait vingt ans ; rappelé par sa famille à l’île Bourbon, il quitter à regret ses compagnons de plaisir et ne semble pas se douter que ce qu’il va trouver là-bas, c’est une inspiration plus naïve et plus franche d’où jaillira sa vraie poésie. Doué d’un goût musical très vif et très pur, comme l’atteste assez la mélodie toute racinienne de ses vers, mais de plus ayant cultivé ce talent naturel, il devint le maître de musique de la jeune créole qu’il a célébrée sous le nom d’Éléonore :

O toi qui fus mon écolière,
En musique, et même en amour…


Dans ce temps, il y avait à Bourbon une très grande disette de professeurs en tout genre ; on était réduit à faire apprendre à lire et à

  1. Paris, de l’imprimerie de Monsieur, 1785.