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Aux deux extrémités de la société allemande, une fermentation menaçante se manifeste simultanément et produit des actes analogues. Les masses incultes, les artisans, les prolétaires, se révoltent à main armée et demandent du pain ; l’aristocratie de droit divin, les penseurs et les poètes, rampent en visière avec le pouvoir ; ils attaquent l’ordre fondé sur le préjugé, ils demandent justice. On emprisonne les uns, on bannit les autres. Combien de temps un tel système de répression est il praticable et efficace ? Là est toute la question pour l’Allemagne. C’est un grave symptôme dans un état que l’union du nombre et de l’intelligence. Ce qui manque aux masses, ce n’est ni le courage, ni la volonté, ni la force ; c’est la connaissance et la parole. Le jour où elles arrivent à la conscience de leur droit par les philosophes, et à l’expression de leurs souffrances par les poètes, ce jour là l’insouciance n’est plus permise au pouvoir. Jetons un coup d’œil rapide sur le tableau que présente en ce moment la Prusse, partie vitale, tête du corps germanique. Qu’y trouvons nous ? Tous les élémens dont la coexistence sur le même point peut faire prévoir presque à coup sûr de périlleux conflits.

Un roi accueilli à son avènement par un enthousiasme immodéré, prince avide de pouvoir, altéré de louanges, de caractère mobile et d’esprit obstiné, curieux de nouveautés, amoureux, de vieilleries, dilettante politique, imprudent utopiste, qui rêve un règne brillant fondé sur l’alliance impossible de l’arbitraire et de la popularité[1] ; une noblesse aveugle et fortement attachée à ses privilèges, une bourgeoisie blessée dans ses instincts d’indépendance, et parmi laquelle le mot de constitution, étourdiment jeté, a semé en ces dernières années toutes sortes d’ambitions sourdes et d’exigences impatientes ; enfin le peuple, contenu encore par de longues habitudes de respect et des pratiques chrétiennes, mais travaillé de plus en plus par les doctrines communistes, et, en quelques provinces, la Silésie surtout, exaspéré par les souffrances aiguës d’une profonde misère : tels sont les élémens d’anarchie que renferme la Prusse Comme conciliation

  1. Ce qui caractérise jusqu’ici le règne de Frédéric-Guillaume IV, c’est le nombre infini de projets avortés, de choses commencées et abandonnées : une loi restrictive sur le divorce inspirée par la rigidité méthodiste, repoussée avec énergie par le sentiment public ; l’introduction de l’ancien code prussien dans les provinces rhénanes, rejetée par les états ; la création de l’évêché de Jérusalem et le rétablissement de l’ordre du Cygne, tombés sous la raillerie ; l’installation, dans les universités, de professeurs contraints de cesser leurs cours faute d’auditoire ; la fondations de plusieurs journaux qui n’ont pu trouver de lecteurs, etc., etc.