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suprême du drame humain. Le sourire pacifiant ou la foudre vengeresse du Deus ex machinâ ne satisfont plus nos esprits scrutateurs. La réalité nous prend à la gorge, comme parle Pascal Rübezahl ne vient plus en aide à personne. Qui donc nous aidera ? Telle est la question que l’on se pose en lisant l’élégie des monts silésiens, question vivante qui soulève le voile de l’avenir. Et c’est là la mission du poète. C’est à lui qu’appartient, tout en intéressant, en amusant les hommes comme des enfans qu’ils restent toujours un peu, de les forcer à descendre dans les profondeurs de la vie et à s’interroger sur les grands problèmes de la destinée humaine. Le poète vraiment inspiré est le sphinx de son siècle. Heureux les temps et les pays où le sphinx trouve son OEdipe !

Dans l’élégie des monts silésiens, qui n’affecte aucune prétention politique, mais dont le pathétique simple et profond touche à un intérêt social flagrant, gît suivant nous, toute la valeur morale du livre de M. Freiligrath. C’en est assez pour faire espérer encore beaucoup de lui, s’il sait reconnaître la nature de son talent. Il serait infiniment regrettable qu’il préférât au mode doux et tempéré de sa lyre modeste les grands éclats de trompette, la redondance et le fracas du jacobisme littéraire. M. Freiligrath, quoi que puissent lui dire ses nouveaux amis en ce premier moment de bien venue, n’est et ne sera jamais de complexion révolutionnaire. Le rôle de Tyrtée, ne sied point à ses instincts paisibles. S’il s’obstine à violenter sa muse pour lui arracher des marseillaises et des iambes républicains, il ne sera qu’un pâle imitateur. D’autres voix plus vibrantes ont poussé avant lui le cri de révolte ; d’autres accens plus mâles ont éveillé dans la jeunesse des frémissans. Que M. Freiligrath tende aux faibles et aux opprimés une main sympathique, mais qu’il n’essaie pas de brandir la torche incendiaire ; des bras plus vigoureux sont réservés à ce fatal destin, ce n’est point là sa vocation naturelle. Une meilleure part lui a été faite ; une tâche plus douce lui est réservée. Cette pensée nous est confirmée par deux autres pièces de vers du nouveau recueil dans lesquelles le souffle élégiaque du poète soupire des modulations charmantes dont rien ne vient troubler la gracieuse harmonie. L’une est adressée à la poésie romantique, qu’il personnifie sous la figure d’une belle femme en blanc habit de nonne, éplorée, les cheveux épars, étreignant avec désespoir l’autel croulant dans la nef déserte. L’autre commence par ces mots : Deutschland ist Hamlet, l’Allemagne, c’est Hamlet ; comparaison suivie avec rigueur et talent jusqu’à la fin du morceau, qui n’a pas moins de soixante douze vers. La Liberté, comme