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à tour dona Lianor et ses jeunes enfans, facile et léger fardeau. Mais combien Lianor a perdu de ses charmes ! Son visage, où naguère s’épanouissaient les roses, offre la pâleur de la neige. Derrière, eux s’avance Christophe Fernandez avec une troupe faible, presque incapable de défense. Pantaléon de Sa, jeune et vigoureux chevalier, commande l’arrière-garde, composée de deux cents braves, dont soixante-dix sont Portugais. Pendant douze jours, la troupe chemine dans cet ordre, au travers de stériles solitudes, de durs rochers, de hautes montagnes, de profonds précipices. Ils sont forcés de tourner de larges rivières dont ils ne peuvent passer à gué les eaux pour raccourcir leur route. Ils ont déjà fait cent lieues, et ne se sont approchés que de trente du point qu’i1s cherchent à atteindre. Cependant les vivres et l’eau manquent ; les forces de plusieurs diminuent ; quelques-uns, exténués de lassitude, tombent sur la route, où ils seront la proie des tigres et des autres monstres du désert. Parmi ceux qui ne peuvent suivre la caravane, se trouve un noble adolescent, fils du capitaine, né d’une autre femme ; son père le pleure sans pouvoir le sauver. Au milieu de cette marche si pénible, la troupe est entourée tout à coup et attaquée par une bande de Cafres. Le combat est vif et la victoire long-temps disputée ; mais les armes et la valeur des Portugais finissent par mettre en fuité cette horde avide de pillage. De nombreux cadavres, surtout africains, jonchent le sol. Cependant, deux nobles Portugais, Sampayo et Diogo Mendes Dourado trouvèrent là une tombe honorable. Après l’action, Sousa rejoint sa tremblante compagne qui, pendant la bataille, priait la reine du ciel. Lianor prodigue à son époux de douces caresses, craintive encore du péril passé. Avec la blanche et large manche de sa tunique elle rafraîchit le front embrasé du fier capitaine ; elle ne peut se rassasier de le regarder, car elle voit encore les coups d’épée, elle entend encore les cris du combat.

Jusqu’à présent, Corte Real a suivi à peu près à la trace les traditions orales ou écrites ; mais il croirait renoncer à la palme de l’épopée, s’il ne mêlait à son récit, comme il a fait dans la tempête, quelques fictions mythologiques. Il suppose que le courage et la beauté de Lianor inspirent une sorte d’admiration, d’amour même, à la rude et sauvage nature africaine contre laquelle elle est en lutte. C’est dans l’agreste dieu Pan et dans les Faunes et les Sylvains, ses sujets velus, qu’il tente de personnifier le génie monstrueux du sol brûlé de l’Afrique. Cette bizarre imagination, exécutée, par malheur, avec une verve trop bucolique et trop molle, n’est pas parvenue à conserver sa signification cosmogonique. Les plaintes langoureuses du dieu des bergers,