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la mélancolie allemande jetée comme un voile léger sur la gaieté française ; c’est à défier l’analyse la plus exercée.

M. Henri Heine est né à Dusseldorfen 1799, de parens israélites. Il a fait ses études aux universités de Bonn, de Berlin et de Goettingue. Le 28 juin 1825, il a quitté la religion de ses pères pour embrasser e christianisme. C’est un fait officiel de sa vie qu’il est impossible de mettre en doute, mais qu’il est encore plus impossible d’expliquer. Une abjuration est un acte de foi, et dans la vie de ce mordant sceptique, un acte de foi est la plus inconcevable des anomalies. M. Henri Heine, en vers comme en prose, s’est raillé de tous les dieux et de Dieu. Non-seulement aucune croyance, mais aucun sentiment aucune idée, ne l’a jamais trouvé fervent ou enthousiaste ; il s’est moqué de la patrie, de l’amour, de l’art, de la nature, de ses amis, de ses proches et de lui même. Poète, il a injurié Goethe, le Jupiter de la poésie moderne, et outragé Platen, le Chénier peut être de l’Allemagne ; patriote, il a déchiré Boerne, le plus patriotique de ses contemporains. Son caprice de virtuose et, comme diraient les Allemands, sa subjectivité fantasque n’ont rien épargné. Il n’a pas fait, comme quelques autres, dans ses écrits une part réservée ; il n’a dressé aucun autel ; il n’a élevé aucune statue ; il n’a honoré aucun homme ni aucun symbole, et s’il a plutôt attaqué la vieille société que la nouvelle, on serait tenté de croire que c’est uniquement parce qu’un état de choses constitué fournissait des thèmes plus nombreux, des sujets plus palpables aux traits aiguisés de sa plume que les vagues hypothèses de doctrines encore abstraites et les embryons informes de l’avenir.

Ce fut le retentissement du canon de juillet qui appela M. Henri Heine à Paris ; comme un vrai enfant qu’il est, le bruit et le mouvement l’attirent. Il vint ici, et y publia successivement ses Reisebilder et des articles de critique littéraire dont le succès fit sa réputation en France[1]. Cet esprit incisif, ces vives étincelles sorties tout à coup, pétillantes et lumineuses, des brumes de la fantaisie allemande, surprirent et charmèrent le public parisien. Les Reisebilder sont à peu près tout ce qu’on connaît en France de M. Henri Heine ; mais cela a suffi, et cela devait

  1. C’est dans cette Revue même que parurent les premiers extraits des Reisebilder, traduits par M. Loeve Veimars, en qui M. Henri Heine avait trouvé un interprète d’un goût exquis et d’une rare délicatesse. Plus tard, on publia une traduction complète du livre faite sous les yeux de l’auteur même des Reisebilder.