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« Dans mon dernier chapitre, dit il, j’ai tenté d’imiter les Oiseaux, la meilleure des comédies de mon père. Les Grenouilles sont excellentes aussi, ajoute-t-il ; le roi aime cette pièce ; cela témoigne d’un bon goût antique. Toutefois, si l’auteur vivait encore, je ne lui conseillerais pas de se montrer à Berlin, il pourrait fort bien lui arriver malheur ; nous le verrions reconduit à la frontière par des chœurs de gendarmes. »

Le poète, il faut en convenir, n’a pas ménagé avec beaucoup d’art sa transition ; il ne s’est donné aucune peine pour amener là le roi de Prusse, qui devait être la fin le couronnement de son livre, le bouquet de son feu d’artifice.

« Ô roi ! lui dit-il, je veux ton plus grand bien, et je te donnerai un bon conseil : honore les poètes morts, mais épargne les vivans.

« N’offense pas le poètes vivans ; ils sont armés d’un fer et d’un feu plus de Jupiter, créées d’ailleurs par le poète.

« Offense, si tel est ton bon plaisir, les dieux anciens et les dieux modernes ; offense toute la clique de l’Olympe et le très haut Jéhovah par-dessus le marché, mais garde toi d’offenser le poète.

« À la vérité, les dieux châtient sévèrement les prévarications des hommes. Le feu d’enfer est passablement chaud ; on y rôtit et on y grille.

« Mais il est des saints qui, par leurs prières, délivrent le prévaricateur de la fournaise. Par des offrandes et des messes pour les ames, on rachète de gros péchés.

« Et, à la fin des temps, le Christ viendra et brisera les portes de l’enfer, et si même il porte un jugement sévère, plus d’un bon vivant s’y soustraira.

« Mais il est des enfers d’où la délivrance est impossible. La prière y est vaine, le pardon du sauveur y est impuissant.

« Ne connais-tu pas l’Enfer du Dante, les redoutables tercets ? Celui que le poète y a renfermé, celui-là, aucun dieu ne peut plus le sauver.

« Aucun dieu, ô aucun messie ne le délivrera jamais de ces flammes chancelantes !

« Prends garde, ô roi ! que nous ne te condamnions à un tel enfer. »

On le voit, c’est aussi au roi de Prusse que s’adressent les menaces de M. Heine ; c’est à l’élève d’Ancillon[1] que parle Freiligrath ; c’est par lui que Herwegh ne peut s’empêcher de conclure ; c’est à lui encore que Mme d’Arnim dédie son livre démagogique ; c’est vers lui que se tournent involontairement les esprits les plus enclins à la rébellion, tant la sage Allemagne est portée d’instinct à honorer ses souverains,

  1. Titre d’un quatrain de Freiligrath.