Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et aux prières de Lianor. Quiconque, dans un autre temps, eût vu ce noble guerrier, franc, affable, d’un commerce facile, et serait maintenant témoin de ses emportemens désordonnés, ne pourrait (eût-il le cœur aussi dur que le diamant) se défendre d’un sentiment d’amère tristesse et de pitié.

A peine le malheureux capitaine et ses compagnons ont-ils pris terre, qu’ils rencontrent une troupe de deux cents Cafres, conduit par le chef déloyal qui est apparu en songe à Sepulveda dans le palais du Mensonge ; mais le noble seigneur ne le reconnaît pas, parce que sa mémoire est affaiblie. Les Portugais demandent aux Cafres des vivres et de l’eau : on leur en accorde ; mais le chef leur interdit l’entrée de son aldée, sous prétexte qu’il n’est pas permis aux Cafres d’admettre des chrétiens au milieu d’eux. Sepulveda se dispose à aller camper à quelque distance. Le Cafre rusé y consent ; mais il insiste pour qu’ils ne restent pas tous réunis sur un même point, à cause de la sécheresse et de la stérilité du sol. De plus, pour ne pas effrayer les indigènes, il faut que les Portugais déposent leurs armes en un lieu sûr, où ils les reprendront quand l’arrivée d’un navire européen amènera pour eux l’instant du départ. On le voit, l’heure approche où le crime commis sur le noble Luis Falcâo va être expié. Réunis en conseil, les Portugais délibèrent sur la remise de leurs armes. En ce moment, le sang versé crie vengeance, et ces paroles arrivent aux pieds du juge suprême : « La justice humaine est aveugle et timide ; elle est désarmée devant les puissans criminels ; vous seul, Seigneur, vengez ceux qui n’ont de recours qu’en vous. » Le juge souverain est ému ; il envoie sur la terre le terrible exécuteur de ses décrets, le CHATIMENT divin ; son emploi est de venger les crimes secrets. Ce ministre saint et formidable fend les nues et vient se placer au-dessus du lieu où les Portugais tiennent conseil. Suivant les uns, livrer leurs armes à un tel peuple, ce serait folie ; suivant les autres, résister à l’injonction des Cafres serait périlleux. L’incertitude est extrême. En ce moment, le CHATIMENT divin, agitant son épée céleste, fait jaillir des éclairs qui éblouissent et qui aveuglent tous ceux sur qui pèse le souvenir d’un crime. Le terrible vengeur n’épargne que Pantaléon de Sa, dont la conscience est pure, et dona Lianor, qui est femme et qui a beaucoup souffert. Préservés de l’aveuglement tous deux s’opposent en vain à la remise des armes L’homicide résolution est prise. A peine exécutée, les Cafres accourent, nombreux, avides. Ils disséminent les Portugais et les poussent par troupes de six ou dix dans des lieux où ils peuvent les dépouiller sans résistance. Les malheureux