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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

rire, comme s’ils avaient l’un et l’autre en naissant l’instinct de leur fragilité et la conscience qu’ils naissent pour souffrir. On touchait à la fin d’avril. Le parc n’était pas assez vaste pour contenir l’ivresse de son âme, Hélène se leva et gagna la campagne. Sous ses pieds, la terre était en fleurs, le ciel bleu souriait sur sa tête, la vie chantait dans son jeune sein. Elle avait oublié Raoul et songeait à peine a Bernard. Elle allait au hasard, absorbée par une pensée vague, mystérieuse et charmante, s’arrêtant de loin pour en respirer le parfum et reportant à Dieu les joies qui l’inondaient dans tous les replis de son ame ; car c’était, ainsi que nous l’avons dit déjà, une nature grave aussi bien que tendre, et profondément religieuse. Ce ne fut qu’en voyant le soleil baisser à l’horizon, qu’Hélène songea à reprendre le chemin du château. En revenant, du haut de la colline qu’elle avait gravie et qu’elle se préparait à descendre, elle aperçut Bernard qui passait à cheval dans le creux du vallon. Elle tressaillit doucement, et son regard ému le suivit long-temps dans la plaine. Elle revint en réfléchissant sur la destinée de ce jeune homme qu’elle croyait pauvre et déshérité, et, pour la première fois, Mlle de la Seiglière se prit à contempler avec un sentiment de bonheur et d’orgueil le château de son père qu’embrasaient les rayons du couchant, et la mer de verdure que les brises du soir faisaient onduler à l’entour. Cependant, en découvrant sur l’autre rive le petit castel de Vaubert sombre et renfrogné derrière son massif de chênes, dont le printemps n’avait point encore reverdi les rameaux, elle ne put se défendre d’un mouvement de tristesse et d’effroi, comme si elle comprenait que c’était de là que devait partir le coup de foudre qui briserait sa vie tout entière. Ce coup de foudre ne se fit pas attendre. Arrivée à la grille du parc, Hélène allait en franchir le seuil, lorsqu’elle fut abordée par un serviteur de la baronne qui lui remit un paquet sous enveloppe, scellé d’un triple cachet aux armes des Vaubert. En reconnaissant à la suscription l’écriture du jeune baron qui était arrivé la veille et qu’elle ne savait pas de retour, l’enfant pâlit, déchira l’enveloppe d’une main tremblante, et trouva, mêlée à ses propres lettres que lui renvoyait Raoul, une lettre de ce jeune homme. Hélène en déchira les feuillets encore tout humides, et, après l’avoir lue sur place, elle demeura atterrée, comme si en effet le feu du ciel venait de tomber à ses pieds.

Assez semblable à ces automates qu’en pressant un ressort on fait à volonté paraître et disparaître, M. de Vaubert était revenu comme il était parti, sur un mot de sa mère, avec le même sourire sur les lèvres