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Sepulveda promène autour de lui des yeux hagards. Bientôt le pesant nuage qui enveloppe son cœur se fond en un déluge de larmes ; d’une voix étouffée par les sanglots, il prononce des paroles de tristesse et de compassion. Il prend dans ses bras le fils qui lui reste, et par un étroit sentier il entre dans la forêt peuplée de tigres, cherchant la mort que les animaux féroces ne tarderont pas à lui donner. Dans cette dernière course, le poète nous le montre accompagné d’un spectre sorti de l’enfer, le DÉSESPOIR ; mais une vision céleste s’approche et vient raffermir son courage, c’est la RÉSIGNATION. Elle lui parle du Christ et de ses divines souffrances, elle lui montre le pardon éternel, elle lui met sa couronne sur la tête ; l’agonisant a retrouvé le calme ; le DESESPOIR s’éloigne de lui. Soudain une nuée obscure s’étend sur le bois touffu. Dans l’enceinte qu’entoure la sombre vapeur, on entend les rugissemens aigus des lions et des léopards. Du milieu de cette nuit affreuse, de deux corps inégaux sortent deux ames égales ; délivrées de leur prison mortelle, toutes deux vont se reposer dans la gloire de l’éternité.

On pourrait croire le poème fini ; mais autour de la tombe abandonnée de Lianor, Corte Real a voulu ramener les visions fantastiques qu’il a mêlées aux êtres réels. Il rappelle encore une fois sur la scène Pan, Apollon et le vieux Protée. Ces singulières personnifications de la nature orientale viennent rendre un plaintif et solennel hommage à celle qui fut la gloire et le chef-d’œuvre de la création. On ne peut disconvenir, en se plaçant au point de vue du poète, que ce grand et dernier tableau ne soit d’un effet touchant et majestueux.

Tel est ce poème, qui n’avait trouvé jusqu’ici en France qu’un bien petit nombre de lecteurs, et qui, grace à l’intelligente et fidèle traduction de M. Ortaire Founier, va prendre place dans la galerie, encore trop nue, où s’étalent les grandes toiles épiques. Sans doute nous ne mettrons pas Corte Real sur la même ligne que Dante, Milton, le Tasse, Camoens ; mais nous croyons que par l’heureux choix d’un sujet intéressant, par l’art de tracer et de soutenir les caractères, par le pathétique et le naturel des pensées et des sentimens, par le talent de décrire, et, en quelque sorte, de peindre aux yeux les objets extérieurs, l’auteur du Naufrage de Sepulveda mérite un des premiers, rangs parmi les poètes épiques du second ordre.

On ne manquera pas de faire à Corte Real deux objections qui ont été souvent adressées à Camoens lui-même. On dira qu’ayant à reproduire l’originale et majestueuse beauté de la nature sous les tropiques, Corte Real, qui avait visité plusieurs fois ces contrées, n’a cependant