Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs bottes sur le parquet de la tribune, qui s’empanachent d’impérialisme, et qui chantent la Marseillaise pendant trois mois ! Mais ils font dix fois moins de bruit et de fumée que M. de Larmartine. Ajoutez que ces démonstrations belliqueuses reprochées au centre gauche en termes si pittoresques n’ont existé jusqu’ici que dans l’imagination de son poétique adversaire. Où donc M. de Lamartine a-t-il vu que M. Thiers et ses amis aient prêché la guerre contre l’Angleterre au sujet des évènemens de Taïti ? Est-ce dans les journaux ministériels ou dans les feuilles anglaises ? Est-ce là que M. de Lamartine va chercher la vérité sur les opinions et les démarches de M. Thiers ? Que la polémique de certains journaux de l’opposition, dictée d’ailleurs par un sentiment généreux, ait été plus ou moins vive pendant trois mois, en quoi cette polémique responsable de ses propres œuvres donne-t-elle le droit d’incriminer des hommes publics comme M. Thiers, M. de Rémusat, M. Billault, qui n’ont jamais dissimulé leurs opinions, et qui ont nettement soutenu à la tribune l’alliance anglaise et la paix ? Il est vrai que ces hommes n’entendent pas le système de la paix et de l’alliance à la façon de M. Guizot. D’accord sur le but, ils diffèrent sur les moyens. Ils sont persuadés que la paix et l’alliance, autrement conduites, seraient plus sûres, et les débats parlementaires ont déjà prouvé plus d’une fois que la majorité du parti conservateur partage sur ce point leurs convictions. Mais ces convictions si modérées, si pacifiques, si publiquement avouées, est-il permis à M. de Lamartine de les suspecter, de les dénaturer ? M. de Lamartine est député ; dans un mois, il aura devant lui, sur les bancs de la chambre, M. Thiers, M. de Rémusat, M. Billault ; il pourra les interpeller à la tribune et les combattre face à face : est-il généreux, est-il loyal de leur prêter en dehors de la tribune des sentimens qu’ils n’ont pas, des intentions qu’ils n’ont jamais exprimées, une politique qu’ils n’ont jamais soutenue, un caractère que leur bon sens et leur honneur désavouent, et tout cela, dans quel but ? Pour satisfaire de petites passions ou pour venir en aide à un ministère que M. de Lamartine proclamait, il y a deux ans, une calamité pour le pays ! Quand on est M. de Lamartine, quand on porte un nom que la gloire littéraire protège encore contre de justes représailles ; quand on a d’ailleurs la prétention d’exercer dans le monde politique le monopole des sentimens chevaleresques, est-ce là une conduite dont on puisse être fier ? est-ce là le patriotisme et la loyauté de M. de Lamartine ?

Nous aurions trop à faire si nous voulions relever ici toutes les singularités, pour ne pas dire plus, que présente le manifeste du député de Mâcon. Le manifeste est long, et nous devons nous hâter. Nous renonçons donc à signaler toutes les contradictions, toutes les chimères qu’a entassées dans ce chef-d’œuvre l’honorable député, jadis légitimiste, rattaché depuis au gouvernement de juillet, conservateur, puis radical, aujourd’hui socialiste, humanitaire, cherchant à fonder dans la chambre une petite église philanthropique ; adversaire déclaré du parti ministériel et protecteur du ministère ; ennemi violent du système des quatorze années et grand admirateur du voyage du roi.