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obscur des Philippines ou des Canaries ? Il est vrai qu’en Europe, il n’est point de pays où toute chose s’oublie aussi vite et aussi facilement qu’en Espagne depuis la chute d’Espartero, combien d’évènemens, qui partout ailleurs auraient pour long-temps remué les masses, et dont, au-delà des Pyrénées les traces sont déjà, ou peu s’en faut, complètement effacées ! Qui s’inquiète en ce moment, à Madrid et dans les provinces, du renversement de M. Olozaga, de l’élévation incroyable de M. Gonzalez-Bravo, des pronuncianzientos de Carthagène et d’Alicante, de ces conspirations de mars et de juillet, dont les fauteurs ou les complices, si bruyamment arrêtés et emprisonnés, sont oubliés par leurs juges eux-mêmes, ni plus ni moins que s’ils n’avaient jamais existé ? On sait quelles émotions a soulevées le procès du comte de Reus : encore quelques jours, et nous craignons fort qu’en Espagne ses plus déterminés partisans ne se demandent plus même si l’on songe à lui faire grace ou à prolonger sa captivité. Quand il s’agit d’un pays si mobile, où du soir au lendemain toutes les questions se déplacent, il est parfaitement inutile d’accorder une trop grande importance aux inquiétudes et aux complications de la veille ; ne nous occupons que des périls actuels et de ceux que, dans un avenir fort rapproché de nous, le parti dominant s’est lui-même exposé à courir. Ces périls, c’est la réforme de la constitution qui les a suscités ; examinons en quoi ils consistent : on verra quelles ambitions, quels ressentimens se doivent prochainement entrechoquer dans l’arène politique, on verra quelle transformation décisive subissent, à l’instant même où nous écrivons, tous les partis qui, depuis la mort de Ferdinand VII, se disputent le gouvernement.

Nous avons plus d’une fois exprimé notre opinion sur la réforme de la loi fondamentale, nous ne voulons donc pas revenir sur la question de principes, ni même sur la question d’opportunité. Pour bien montrer pourquoi les partis s’agitent et comment ils se transforment, il nous suffira de constater les faits, ou du moins les tendances réelles et positives de l’esprit public. Nous nous proposons de définir les immédiates conséquences de la réforme, qui dès maintenant peut être considérée déjà comme accomplie, bien que tous les articles du projet ne soient pas encore votés au congrès. C’est une histoire étrange que celle de ce projet ; du moment où il a été conçu jusqu’à celui où ses dispositions les plus significatives ont été adoptées par la chambre des députés, il a parcouru, si l’on peut ainsi parler, trois phases capitales qu’il importe de mettre pleinement en relief. Chacune de ces phases est marquée par un fait saillant, la première, par la rupture qui, sur le terrain des principes, a pour toujours peut-être séparé les deux grandes fractions du libéralisme péninsulaire, le parti modéré et le parti progressiste ; — la seconde, par les, divisions sérieuses qui se sont produites au sein même du parti modéré ; — la troisième, par les mécomptes qu’a tout récemment essuyés au congrès le parti absolutiste, qui, à l’égard du parti modéré, est brusquement revenu à ses vieux sentimens de défiance et d’aversion. Ce sont là les faits qui aujourd’hui dominent, en Espagne, la situation politique : nous