Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/953

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Tyler, quoique trompé dans ses espérances, n’en avait pas moins atteint son but principal : il avait mis hors de combat les chefs du parti démocratique ; il les avait contraints de s’expliquer sur la question de l’annexion et de se compromettre vis-à-vis de leurs partisans. M. Van Buren, obligé de choisir entre ses amis du nord et du sud, s’était prononcé contre l’annexion et avait ruiné ses chances dans le sud et l’ouest. Ce fut pour le général Cass une raison de se prononcer hautement en faveur de Ï’annexion ; mais le nord vit avec jalousie un homme du sud chercher à recueillir l’héritage de son candidat favori, et montra beaucoup de répugnance pour lui. De ces haines réciproques il résulta qu’à la convention préparatoire de Baltimore, aucun des deux chefs du parti ne fut élu ; M. Cass et M. Van Buren s’exclurent l’un l’autre, et un homme inconnu jusqu’alors, un adversaire du tarif, M. Polk, fut le candidat préféré, au grand dépit des états démocrates du nord. Les démocrates restèrent donc groupés en trois fractions autour de M. Polk, de M. Tyler et de M. Van Buren. Les whigs, à la vue de cette désunion de leurs adversaires, ne dissimulèrent pas leur joie et se crurent assurés du triomphe ; mais le danger avertit les démocrates de serrer leurs rangs. Ce parti s’est toujours montré bien plus discipliné et plus aguerri que le parti whig ; il a été formé à la tactique parlementaire sous le général Jackson par M. Van Buren, le politique le plus froid, le plus habile, le plus fécond en ressources des États-Unis, le diplomate pour les talens duquel M. de Talleyrand a témoigné le plus de sympathie. Les démocrates virent bien qu’en restant désunis, ils n’avaient à attendre qu’une défaite inévitable, et tous ceux qui n’avaient pas d’engagemens personnels se groupèrent autour de M. Poll. M. Van Buren, avec une promptitude qui lui fait honneur, sacrifia aussitôt ses espérances et son ressentiment ; il rendit public son désistement, et engagea ses amis à reporter leurs suffrages sur M. Polk ; il fit usage de son influence, qui est grande à New-York et dans la Pensylvanie, pour rallier à M. Polk ces deux états, qui se montraient fort alarmés, des doctrines du nouveau candidat sur le tarif et la protection due à l’industrie nationale.

Restait encore M. Tyler. Celui-ci, que la candidature de M. Polk avait singulièrement déconcerté, fit des efforts désespérés pour assurer sa réélection. Comme aux États-Unis, aussi bien qu’en Europe, le choix des fonctionnaires publics est un puissant moyen d’influence, M. Tyler bouleversa tout le personnel de l’administration ; il n’est si petit employé qui ne fut changé. Il essaya aussi de raviver la question du Texas par un nouveau message, par la publication incessante de documens officiels à ce sujet, et en portant devant les représentans le traité rejeté par le sénat ; mais la seconde chambre le lit déposer sur la table, ce qui équivaut à un ajournement indéfini, et le congrès se sépara sans qu’il en eût été question. M. Tyler songea alors à convoquer le congrès en session extraordinaire pour traiter de nouveau de l’annexion ; toutefois il recula devant à cette mesure. Son principal appui, M. Calhoun, ne tarda pas à lui manquer ; celui-ci avait activement secondé M. Tyler,