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historiens de la philosophie. Mais de toutes les richesses rapportées de ce voyage les fables de Babrius étaient sans comparaison le monument le plus important. Aussi M Villemain, avec un tact qui l’honore, s’empressa-t-il de recommander la publication de ce précieux manuscrit au plus illustre helléniste contemporain. M. Boissonade, on le devine, s’est acquitté de cette tâche en maître, c’est-à-dire avec la fine érudition et la plume délicate qu’on lui connaît. Le spirituel écrivain ne s’est pas borné au rôle toujours si difficile de premier éditeur ; il a accompagné son texte d’une version excellente où un certain manque de concision est plus que racheté par le charme d’une latinité exquise. Des commentaires ingénieux, une préface très piquante accompagnent et complètent cette belle publication. Maintenant les cent vingt trois fables de ce Romain grécisant du IIIe siècle sont acquises à l’histoire littéraire : l’élégance précise qu’on y remarque, et que déparent seulement quelques interpolations difficiles à déterminer, assure à Babrius une place notable entre les poètes anciens qui ont cultivé l’apologue. Le livre, si intéressant à tous égards, de M. Boissonade ne peut manquer de provoquer une foule de publications diverses sur le texte de Babrius déjà en France a paru une traduction française très estimable d’un professeur distingué, M. Boyer. M. Dübner a fait aussi paraître à Paris un examen critique ; M. Egger et M. Fix en annoncent d’autres. On se doute bien que l’Allemagne va avoir son tour et que les brochures des universités germaniques nous arriveront en foule. Quand le premier feu sera passé, nous raconterons, peut-être ce tournoi philologique qui marquera dans l’érudition française, et qui est fait pour aviver chez nous l’amour des sévères études. En attendant ; il était bon au moins de constater la mise au jour de cette édition princeps de Babrius, qui fait le plus grand honneur au goût de M. Boissonade et aux presses savantes de MM. Didot, comme au zèle vraiment littéraire de M. le ministre de l’instruction publique.


— Si l’illustration a droit d’intervenir quelque part, c’est assurément dans les récits, aujourd’hui bien rares, où le voyageur lutte contre la difficulté de peindre et d’animer aux yeux du lecteur des mœurs nouvelles et des paysages inconnus. La chine ouverte, par MM. Old Nick et A. Borget[1], appartient à cette classe d’ouvrages où l’illustration est de mise, où le crayon peut utilement seconder la plume. Le titre indique assez le but que se sont proposé l’écrivain et le dessinateur. Il s’agissait de retracer fidèlement les impressions d’un Européen qui se trouve initié aux mystères de la Chine. M. Old Nick avait à se transporter par l’imagination dans les lieux que M. Borget retrace de mémoire : tous deux ont bien rempli leur tâche. Les dessins de M. Borget se distinguent par une fidélité scrupuleuse, et les récits de M. Old Nick résument avec charme les plus récentes notions qu’on possède sur le Céleste Empire. On ne peut que faire bon accueil à des publications qui, sous prétexte d’amuser les yeux, atteignent un but moins frivole en donnant une forme attrayante à l’étude et à la description des pays lointains. Comme livre et comme keepsake, la Chine ouverte mérite un double succès.



V. de Mars.
  1. Un beau vol. in-8o ; chez H. Fournier, éditeur, rue Saint-Benoît, 7.