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Lapithes comme ceux que nous voyons aujourd’hui, irait s’oublier encore et se complaire à de studieuses, à d’agréables reproductions du passé.

Pour animer, pour ennoblir aux yeux du public cet ensemble de critique, en apparence si peu fastueuse, et que nous ne cherchons nullement à rehausser ni non plus à rapetisser ici, une seule considération peut-être suffira. L’ame, l’inspiration de toute saine critique, réside dans le sentiment et l’amour de la vérité : entendre dire une chose fausse, entendre louer ou seulement lire un livre sophistique, une œuvre quelconque d’un art factice, cela fait mal et blesse l’esprit sain, comme une fausse note pour une oreille délicate ; cela va même jusqu’à irriter certaines natures chez qui la sensibilité pénètre à point dans la raison et vient comme aiguiser celle-ci en s’y tempérant. La haine d’un sot livre fut, on le sait, la première et la plus chaude verve de Boileau. Tous les critiques distingués en leur temps, je parle des critiques praticiens qui, comme des médecins vraiment hippocratiques, ont combattu les maladies du jour et les contagions régnantes, La Harpe, le docteur Johnson, ont été doués de ce sens juste et vif que la nature sans doute accorde, mais qu’on développe aussi, et que plus d’un esprit bien fait peut, jusqu’à certain point, perfectionner en soi. Or, ce sens de vérité est précisément ce qui, dans tous les genres dans l’art, dans la littérature d’imagination, et, ce qui nous paraît plus grave, dans les jugemens publics qu’on en porte, s’est le plus dépravé aujourd’hui. Il semble que les esprits les plus brillans et les mieux doués se soient appliqués à le fausser, à l’oblitérer en eux. On en est venu dans un certain monde (et ce monde, par malheur, est de jour en jour plus étendu) à que l’esprit suffit à tout, qu’avec de l’esprit seulement on fait de la politique, de l’art, même de la critique, même de la considération. Avec de l’esprit seulement, on ne fait à fond rien de tout cela. Les politiques, restés plus avisés, le savent bien pour leur compte, et, dans leur politesse qui ressemble un peu à celle de Platon éconduisant les poètes, ils renvoient d’ordinaire ces gens d’esprit, qui ne sont que cela, à la littérature. Mais la littérature elle-même, en s’ouvrant devant eux pour les accueillir, car elle est large et en effet hospitalière, a droit de leur rappeler pourtant que le vrai ne lui est pas si indifférent qu’ils ont l’air de le croire, et que chez elle aussi on ne fonde rien de solide qu’en tenant du fond du cœur à quelque chose. Eh bien ! dans ce rôle de critique positive que nous pratiquons, la Revue des Deux Mondes se pique de tenir ferme à quelques points, de compter de près avec les œuvres mêmes,