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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1203

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REVUE LITTERAIRE.




POESIES NOUVELLES.




La plupart des jeunes poètes, dans leurs vers moroses, représentent la critique une grosse férule à la main. C’est une flatterie : quand elle n’a qu’une férule, la critique manque à ses devoirs ; il lui en faut deux. Si les auteurs, en effet, tombent incessamment sous sa compétence, les lecteurs, à leur tour, n’échappent pas tout-à-fait à cette juridiction. Sans doute, dans les époques favorisées où le goût est un suprême arbitre et où l’admiration ne craint pas d’avouer le bon sens pour complice, le public, de lui-même, vient en aide à la critique, au lieu d’appeler son contrôle ; c’est l’âge d’or, ce sont des intervalles de far niente pour ceux qui font profession de juger les écrits. Mais il est des heures moins heureuses : c’est quand les maladifs caprices de la décadence ont perverti le tact des choses littéraires, c’est quand les mobiles engouemens de la mode se sont substitués à l’enthousiasme de la poésie vraie. Alors la tâche est doublement lourde pour ce qu’on appelle la critique, car, si elle ne consent pas à abdiquer, il faut forcément qu’elle s’interpose entre ce public et ces écrivains, également dévoyés, qui, par d’équivalentes flatteries, s’entretiennent, se fortifient dans leurs mutuelles faiblesses. On a dit mille fois que la société faisait la littérature à son image ; c’est juste la moitié de la vérité, laquelle ne se complète et ne se rectifie que par la proposition contraire, à savoir que les lettres impriment au monde contemporain leur propre caractère. En effet, l’action ici est toujours réciproque, et pour la société comme pour la littérature, c’est-à-dire en abrégé pour celui qui lit comme pour celui qui compose, l’influence exercée est à peu près égale à l’influence subie. Voilà pourquoi c’est un devoir quelquefois de redresser le goût