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mais c’est un idéal encore qui n’altère en rien le naturel simple et vif, et qui respecte la douleur humaine prête à se faire jour par des cris au besoin et par tout ce qu’il y a de plus vrai dans le langage.

Jusqu’à l’autre extrémité des beaux âges de la littérature grecque, au lendemain même de Théocrite, on retrouverait des accens de cette simplicité touchante, ce naïf et ce fin qui pénètre comme en chaque veine de cette poésie au sortir d’Homère, et qui survécut long-temps, même après que le grand s’en fut retiré. Moschus a-t-il à déplorer la perte du célèbre bucolique Bion, et veut-il opposer à la fragilité mortelle cette immortalité de la nature si souvent mise en contraste depuis par des voix de poètes : dans l’un des couplets de sa complainte, il s’écrie : « Hélas ! hélas ! les petites mauves, lorsqu’elles ont comme péri dans le jardin, et le vert persil, et le frais fenouil tout velu, revivent par la suite et repoussent à l’autre année ; mais nous autres hommes, les grands, les puissans ou les génies, une fois que nous sommes morts, insensibles dans le creux de la terre, nous dormons à jamais le long, l’interminable, l’inéveillable sommeil. » - Ce passage fait souvenir de l’ode d’Horace : Diffugere nives, dans laquelle le poète exprime la mobilité des saisons, le printemps qui renaît et qui sollicite à jouir de l’heure rapide, car l’hiver n’est jamais loin : « Mais, ajoute-t-il en s’attristant également de la supériorité de la nature sur l’homme, les lunes légères ne tardent guère à réparer leurs pertes dans le ciel, tandis que nous, une fois descendus là où l’on rejoint le pieux Énée, le puissant Tullus et Ancus, nous ne sommes que poussière et ombre. » La pensée d’Horace est belle, elle est philosophique et d’une mélancolie réfléchie ; mais je ne sais quoi de plus vif et de plus pénétrant respire dans la plainte de Moschus. Les Latins, et je parle des meilleurs, n’atteignirent jamais à de certains accens de cette muse première, même lorsqu’elle fut sur le déclin : nous l’avons vu une fois de Virgile par rapport à Apollonius ; nous l’entrevoyons ici d’Horace à l’égard de Moschus bien moindre. Le spirites graioe tenuis camœnoe fut merveilleusement senti des excellens poètes de Rome, mais ne put être toujours et tout entier ressaisi par eut. Il est une fraîcheur qui tient à la source ; il est des images vives et légères qui tiennent aux impressions du berceau, et dont la trace se perpétue à travers les âges. La poésie des Latins, au contraire, était née tard et d’une étude savante ; elle n’avait pas eu d’enfance.

En soumettant ces idées à ceux qui en sont juges, en ne les jetant ici que comme de simples aperçus, et parce qu’il y a disette, en ce moment, de ce genre d’études au sein de la presse périodique et,