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forcé de reconnaître si promptement les effets de cette tactique habile, et qu’il se trouverait pris entre l’alternative de l’action immédiate et celle de sa retraite. On pourra trouver qu’il a trop vite abandonné la partie, qu’il a vu la situation pire qu’elle n’était, et qu’il aurait dû risquer un dernier combat ; mais nous croyons au contraire qu’il a jugé sa position avec beaucoup de résolution, et que le parti qu’il a pris annonce autant de sang-froid que de justesse d’esprit. En effet, s’il n’avait proposé dans la chambre des communes qu’une réforme partielle, il ne pouvait plus compter sur le concours des whigs, qui jusqu’à présent avaient voté pour lui, puisqu’ils venaient de se prononcer pour une réforme radicale. Les tories, mécontens de leur côté, auraient saisi cette occasion de lui faire expier les mesures libérales qu’il leur avait imposées depuis quatre ans. Sir Robert Peel n’a pas voulu s’exposer à un échec qu’il considérait comme à peu près certain. Il a donc pris résolument son parti, et a dit à ses collègues : Je proposerai le rappel total, ou je me retirerai. On dit qu’il avait d’abord réussi à convertir le plus important de ses collègues, le vieux duc de Wellington, qui exerce une autorité presque toute-puissante sur la chambre des lords. C’était le principal ; il y avait bien, à ce qu’il paraît, quelques récalcitrans, mais c’était de ceux dont on pouvait très bien se passer. Comment cet accord momentané fut-il rompu ? comment le duc de Wellington changea-t-il de résolution ? C’est ce qu’on ne sait pas encore. Est-ce le mouvement causé dans le pays par la nouvelle hardiment donnée par le Times, est-ce les obsessions de ses collègues de la chambre haute et les cris de la grande propriété qui agirent sur lui et lui firent prendre en dernier lieu le parti de la résistance ? Toujours est-il que, dès qu’il se trouva en opposition directe dans le conseil avec sir Robert Peel, le sort du ministère fut décidé. Une réunion du conseil eut lieu lundi à Londres ; le duc de Wellington n’y assistait pas. La démission des ministres y fut décidée ; tous partirent le surlendemain pour l’île de Wight, où se trouvait la cour. Le duc de Wellington les joignit à un embranchement du chemin de fer, et alla avec eux déposer sa démission entre les mains de la reine.

Lord John Russell avait été, dit-on, déjà prévenu qu’il serait appelé par sa souveraine. Il avait quitté Edimbourg en toute hâte. Aussi, dès le jeudi, il partit pour l’île de Wight, après avoir eu une conversation en passant à Londres avec sir Robert Peel ; il vit la reine, revint en ville le soir même, et en ce moment son administration est déjà composée.

C’était, en dehors de sir Robert Peel et des tories modérés, la seule combinaison possible. Un ministère de purs tories n’aurait pas vécu une semaine sans jeter l’Angleterre dans les plus grands périls intérieurs. Dès que sir Robert Peel, de son côté, refusait de reconstituer un cabinet sans le duc de Wellington, il n’y avait plus, naturellement, d’autre candidat que lord John Russell.

Les noms des nouveaux ministres étaient tout trouvés. Lord John Russell sera premier lord de la trésorerie, c’est-à-dire premier ministre. Il aura pour