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la convention, que le secours accordé aux filles-mères n’est plus une prime donnée à l’oubli des lois de la pudeur, mais un des plus puissans obstacles apportés à l’abandon des enfans, et le seul moyen, peut-être, de retirer du désordre les infortunées qui ont une fois succombé.

Enfin, par le décret de 1811, qui compose presque toute la législation actuellement en vigueur, Napoléon destinait à l’armée de terre et de mer tous les enfans trouvés du sexe masculin. Cette partie du décret ne reçut d’exécution que sous l’empire, et maintenant les enfans trouvés sont appelés à concourir à ces services dans la même proportion que les autres citoyens.

La restauration, comme le gouvernement actuel, n’a guère pris, à l’égard des enfans trouvés, que des mesures d’ordre, telles que la fermeture d’un certain nombre de tours d’exposition, le déplacement des enfans en nourrice, etc. Ces mesures, uniquement répressives, n’ont amené ni les inconvéniens qu’on pouvait craindre, ni les avantages qu’on pouvait espérer ; si bien que le sort des enfans trouvés reste ce qu’il était, c’est-à-dire fort malheureux ; et, selon nous, voici pourquoi. La législation qui les concerne est incomplète et ne les protège qu’imparfaitement ; les sacrifices que l’état s’impose pour eux sont insuffisans, et par conséquent faits en pure perte.

Ainsi le prix des mois de nourrice pour les enfans trouvés est de 7 francs pour la première année ; ce prix décroît dans les années suivantes[1]. La modicité de cette rémunération empêche les cultivateurs un peu aisés de se charger de tels nourrissons, qui, pour des gens honnêtes et voulant remplir leurs devoirs, seraient plus ruineux qu’utiles. Il en résulte que ces malheureux tombent en partage à la classe la plus misérable et souvent la plus corrompue de nos campagnes. Ce n’est pas tout ; pour engager les nourrices, qu’un si mince profit n’attire pas, on leur permet trop souvent de se charger de trois, quatre et quelquefois jusqu’à six enfans qui partagent les soins, ou, pour mieux dire, sont également soumis à la négligence d’une femme que trop souvent ses occupations retiennent loin de la maison. Une effrayante mortalité décime alors ces pauvres enfans. Ceux qui survivent sont-ils plus heureux ? Épuisés par les privations, par l’absence des soins si nécessaires aux premiers jours de la vie, leur santé détruite ne leur permet guère de pourvoir par le travail à leurs besoins. Les garçons la plupart du temps sont même incapables de satisfaire aux obligations que leur impose la loi de recrutement. Chez eux d’ailleurs, l’esprit n’est pas dans un meilleur état que le corps. Obligé dès l’âge le plus tendre de gagner un pain qu’on lui donne d’une main trop avare, l’enfant trouvé ne peut suivre l’école, ne reçoit aucune instruction religieuse, et reste enfin, sous le rapport de l’intelligence, presque au niveau des animaux dont il a constamment la garde : heureux quand on ne le force pas à mendier, ou, ce qui est pis encore, à marauder : triste apprentissage par lequel on le fait préluder à la vie de désordre qui

  1. Sous Louis XIV, ces prix étaient plus élevés qu’ils ne le sont maintenant.