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laissons là ces injures ; rien n’est plus faux qu’un tel rapprochement et une erreur si grave témoigne d’une légèreté singulière. Non, si l’on cherche dans le catholicisme une école qui leur ressemble c’est aux jansénistes qu’il faut les comparer. Comme l’évêque d’Ypres, comme l’abbé de Saint-Cyran, ils exagèrent et le dogme de la chute et le principe de la grace. Le monde est mauvais, corrompu, fatal ; la nature, déchue et viciée jusqu’en son dernier fond, est incapable du bien ; il faut que l’homme se jette entre les bras de la grace, et, renonçant à son action propre, s’abandonne, tout entier à Dieu. Outre ces analogies de doctrines, il y a dans l’histoire du jansénisme et dans celle du piétisme plus d’une ressemblance frappante qui les rapproche encore. Rien n’est plus beau que le commencement du jansénisme rien n’est plus triste que sa fin ; c’est aussi, en deux mots, l’histoire du piétisme allemand. Quand il se forme, vers le milieu du XVIIe siècle, entre les mains de Spener, le piétisme est un sublime réveil de la vie religieuse, comme l’avait été trente années auparavant la réforme de Port-Royal par la grande Mme Angélique et par M. de Saint-Cyran. Depuis cette première et glorieuse période, le piétisme, persécuté et persécuteur à son tour, maudissant et maudit, finit par tomber dans tous les excès qui ont déshonoré le jansénisme au XVIIIe siècle. On sait comment va se perdre, dans un esprit de secte hargneux et jaloux, cette forte doctrine qui avait suscité de si grands caractères les mémorables scènes de la famille Arnauld remplacées par les folies des convulsionnaires, Pascal remplacé par Abraham Chaumeix est-il rien de plus triste qu’un tel spectacle ? La même chose est arrivée aux piétistes. Qu’il y a loin du zèle évangélique de Spener et de sa pieuse réforme à la politique étroite, à l’intolérance mesquine et tracassière des piétistes contemporains ! Aigris par tout ce qui arrive, irrités par la marche de l’esprit philosophique qui s’éloigne d’eux chaque jour davantage et les condamne, ils sont en hostilité permanente avec la pensée publique. Obstinément attachés, du reste, à la religion de Luther, ils ne sont pas moins opposés aux catholiques qu’aux libres penseurs. Plusieurs, parmi eux, rêvent pour leur église une organisation nouvelle, une hiérarchie plus forte, plus rigoureuse. Le progrès du puseyisme anglais les a frappés, et leur ambition serait d’établir chez eux quelque chose de semblable, malgré les vives répugnances de l’Allemagne. Cette entreprise, ils l’ont tentée il y a quelques mois, ils la tenteront encore, mais on peut affirmer d’avance qu’ils ne réussiront pas. Avides, insatiables, armés du pouvoir que donne un fanatisme jaloux, ces hommes seront souvent un immense