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par des conseils intéressés ? Ces doutes sont permis. M. Ronge n’était pas assez armé pour entreprendre si résolument une telle lutte. Depuis quelques mois, il était fort lié avec un homme audacieux, énergique M. le comte de Reichenbach ; il avait demeuré chez lui, il était son ami, son confident. Or, la nullité de M. Ronge, et, au contraire, le mérite incontestable, la vigueur entreprenante de M. de Reichenbach, autorisent naturellement des conjectures qui, en Allemagne, ne sont plus douteuses pour personne. Rien n’était plus facile que de pousser au schisme cet esprit vaniteux et si vivement blessé ; il est clair qu’on s’est servi de lui. Tout le monde sait quel fut le signal : le 1er octobre 1844, M. Ronge écrivait de Laurahütte sa fameuse lettre, qui paraissait le surlendemain dans les Feuilles patriotiques de Saxe, avec ce titre : Jugement d’un prêtre catholique sur la sainte tunique de Trêves. Aussitôt tous les journaux protestans, libéraux, philosophiques, poussèrent des cris de joie. La protestation de M. Ronge fut immédiatement reproduite dans les gazettes et envoyée aux quatre coins de l’Allemagne. On en vendit plusieurs milliers en quelques jours ; adresses, proclamations, souscriptions, rien ne manqua au succès de M. Ronge. Cependant le symbole nouveau n’était pas arrêté ; M. Ronge allait prêchant de ville en ville, il attirait beaucoup d’auditeurs, beaucoup de curieux, des amis çà et là, mais point de disciples encore ; l’église n’existait pas. Deux mois après, il fut excommunié et dégradé ; c’est alors qu’on lui suggéra l’idée d’établir une confession indépendante et de rompre ouvertement avec Rome. Vers le même temps, un curé de Schneidemühl, Czerski, se maria, fut dégradé comme Ronge, et ses paroissiens ne voulant pas se séparer de lui, il rédigea en commun avec eux une profession de foi. Ce symbole contenait cinq articles principaux : 1° le refus de se soumettre à l’autorité de Rome ; 2° l’abolition du célibat des prêtres ; 3° l’abolition de la confession ; 4° la communion sous les deux espèces ; 5° l’office divin célébré dans la langue nationale. Au reste, des différences graves devaient éclater bientôt entre Ronge et Czerski. Czerski, tourné vers la Prusse polonaise, vers les Slaves, si attachés aux traditions catholiques, s’efforçait de rompre le moins possible avec ces traditions. Ronge, au contraire, qui s’adressait aux Allemands, allait être poussé et absorbé bientôt tout entier par le rationalisme germanique. Le concile de Leipsig, comme ils l’appellent ; nous révélera ces divisions. En attendant, les deux cultes se valaient bien ; il n’y avait ni dans l’un ni dans l’autre un grand effort d’invention, un sérieux caractère de reforme religieuse. Czerski donnait à son église le nom d’église catholique