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de onze cents personnes avaient pris part à ce complot. Le matin, des placards étaient affichés dans la ville, et Czerski était désigné à la fureur du peuple. L’autorité prussienne prit aussitôt une résolution énergique ; elle déclara qu’on maintiendrait le libre exercice des cultes, et que la force serait repoussée par la force. On sait ce qui arriva ; l’émeute éclata malgré la ferme attitude du pouvoir, des coups de fusil furent échangés, et Czerski, après avoir prêché devant six mille personnes, n’échappa qu’avec peine à la rage de la populace. Un prêtre polonais, M. Joseph Staretschek, indigné de ces violences, abandonna l’église catholique et passa dans le camp de Czerski ; le fanatisme a toujours de ces succès-là. Ce ne fut pas, pour les dissidens, le seul fruit de l’émeute de Posen, il y en eut un beaucoup plus précieux : le gouvernement prussien s’était trouvé en lutte avec les catholiques, il avait défendu les dissidens, il les avait pris sous sa protection ; l’émeute de Posen renouait donc entre le pouvoir et l’église nouvelle les relations bienveillantes que l’on croyait rompues.

Cette bienveillance ne devait pas durer long-temps. Une émeute faite contre les novateurs leur avait rendu les sympathies du roi de Prusse ; une émeute faite par leurs amis les leur enleva de nouveau. Ils perdirent à Leipsig ce qu’ils venaient de gagner à Posen. Ici, l’on put voir très clairement l’alliance, consentie ou non, qui existe entre Ie dissidens et les partis politiques. Ce n’est ni Czerski ni Ronge qui sont en cause dans l’affaire de Leipsig, ce sont les amis des lumières. Les amis des lumières protestaient contre le symbole de la confession d’Augsbourg qui leur est imposé ; le ministre chargé des affaires évangéliques, M. de Könneritz répondit que son devoir était de maintenir ce symbole et qu’il serait maintenu. Cette déclaration venait d’arriver à Leipsig, et les esprits en étaient vivement irrités. On sait combien ces questions tiennent au cœur même de la Saxe ; c’est là le sol luthérien par excellence. Or, le peuple suivait tous ces débats avec une attention inquiète, et, quand la décision ministérielle fut connue, la colère publique commença de gronder sourdement. Le frère du roi surtout, le prince Jean, si connu pour la ferveur exaltée de ses croyances, était l’objet de la défiance universelle, car chacun ici croyait voir manifestement son influence secrète. Il semblait que cette décision fût un coup d’état et le premier acte d’un régime de tyrannie. L’exemple des dissidens catholiques qui venaient de déchirer le symbole officiel et d’en créer un nouveau, cet exemple hardi avait éveillé chez les protestans les plus belles espérances ; il était cruel de les voir si tôt détruites ! Quelque temps après, une revue a lieu à Leipsig, et c’est le