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C’est à la fin du XVe siècle que Savonarola se rendit à pied de Brescia à Florence. La prédication fit du réformateur dominicain le roi d’une population émue et crédule ; ni l’état de l’église, ni la situation politique de la ville des Médicis n’étaient propres d’ailleurs à désarmer sa colère. Une triste corruption avait gagné ce grand corps de l’église. Alexandre VI souillait le trône pontifical par la débauche et par le crime. Singulière décadence, contre laquelle la révolte du Luther italien était bien légitime ! À Florence, l’autorité était tombée des mains de Laurent de Médicis en celles de son fils Pierre, jeune homme frivole et vain, occupé de plaisirs et de fêtes, qui avait déjà toute l’insouciance de l’héritier incontesté d’une couronne royale. Il avait aisément recueilli la survivance des honneurs et de la magistrature de son père ; mais, aux yeux du plus grand nombre, son pouvoir était une usurpation. C’est contre Alexandre VI et contre Pierre, contre le chef de l’église et le chef de l’état, que Savonarola fit tonner sa voix et souleva la multitude. Dans ses rêves mystiques, Fra Girolamo alliait une foi d’illuminé à un amour farouche de la liberté populaire. Il tonnait avec une égale audace contre la corruption de la religion et les détenteurs des droits du peuple ; il ébranlait la foule par ses paroles ardentes, et c’était sans hypocrisie qu’il se posait en prophète annonçant des calamités prochaines si la réforme ne triomphait pas. Son exaltation religieuse était telle qu’il pouvait se croire sans effort l’envoyé de Dieu, et le peuple avait la même foi en lui, de telle sorte que, lorsque Pierre de Médicis fut forcé de s’enfuir, poursuivi par la réprobation publique, après avoir livré les places de la Toscane à Charles VIII, et que la république florentine sembla renaître, Savonarola se trouva comme le dictateur de cette turbulente démocratie. Ce fut là le terme de son crédit : Dès-lors son autorité chancelle ; des prédications amères, forcenées, s’acharnent contre lui et le provoquent au combat ; il faut qu’un de ses disciples accepte le fanatique défi de braver les flammes, pour éprouver si Dieu vraiment favorise sa cause, et s’il renouvellera le miracle de Daniel dans la fosse aux lions. Bientôt lui-même, conspué et honni, il montera sur un bûcher, et la foule battra des mains à son supplice, comme elle a applaudi à son triomphe.

C’est là aussi, c’est à ce moment d’incertitude que commence le drame de M. Revere. Cette lutte à laquelle toute une cité prend part, et qui se dénoue par l’immolation d’un homme, l’auteur n’a eu ainsi qu’à la prendre dans l’histoire ; mais il avait à relier tant d’élémens diffus et à leur donner une forme précise, et poétique ! Ces noms de partis, les piagnoni, les arrabiati, il ne les a pas créés davantage ; c’est la chronique qui les lui a donnés. Les piagnoni, ce sont les sectateurs de Fra Girolamo, gens de vertu et d’austérité, voués à la pénitence, qui veulent sauver Florence par la liberté, et l’église par le sacrifice, par l’abnégation et la pureté des mœurs primitives. Des hommes se font les soldats de ce Dieu souffrant du Calvaire que leur prêche Savonarola ; les femmes se dépouillent de leurs folles parures, réforment leur existence, et vivent de la vie des antiques matrones. Les arrabiati, au contraire, sont les amis de la vie facile, vrais fils d’Épicure, enragés de plaisir ou