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Mahmoud, une salle de spectacle, et ce qu’Il y eut de plus étrange dans cet évènement, c’est que la liste de souscription fut en partie remplie par des Turcs ; mais ce théâtre, qui existe toujours, est le plus souvent fermé faute d’acteurs. La troupe italienne qui exploite le Levant se fixe de préférence au milieu des sociétés plus nombreuses d’Athènes et de Smyrne.

Le lendemain de notre arrivée, nous nous embarquâmes, pour aller à Stamboul (la ville turque), dans un de ces longs caïques qui sont les fiacres de Constantinople. La moindre oscillation fait chavirer ces légères pirogues que conduisent avec une inconcevable rapidité de beaux Arnautes vêtus de chemises de soie. En deux minutes, on traverse la Corne d’Or, au milieu d’une affluence inouïe de canots de toutes formes, de navires de toutes nations, et l’on arrive à un débarcadère plus dangereux encore que le caïque, en ce que, croyant débarquer sur la terre ferme, on risque de sauter dans un égout, et de s’enfoncer jusqu’au cou dans un ruisseau de fange parfaitement caché sans une croûte de poussière en apparence solide. Les rues de Stamboul sont plus étroites, plus immondes, plus puantes encore que celles de Galata ou de Para. Des barraques de bois mal construites et mal peintes, sortes de cages percées d’une infinité de fenêtres grillées, avec des étages en saillie sur le rez-de-chaussée, bordent à droite et à gauche ces passages où se presse sans bruit une foule de toutes les couleurs. Le pavé, fait de petites pierres posées dans la poussière, se dérange sous vos pieds et vous expose à des chutes continuelles, fort désagréables dans ces rues où, faute d’écoulement, chaque trou est une flaque d’eau et de boue noire. Sur les établis des premières boutiques que l’on rencontre sont entassés par monceaux de grands poissons dont les écailles resplendissent au soleil, malgré la poussière. Des chiens jaunes, beaucoup plus nombreux qu’à Galata, se ruent dans vos jambes, et malheur à qui se débarrasserait trop énergiquement de ces hideuses bêtes que protége la piété musulmane ! Les mœurs de ces animaux, dont le nombre s’élève, dit-on, à une centaine de mille, sont assez singulières : ils n’appartiennent à personne et n’ont pas de logis. C’est en pleine rue qu’ils naissent, qu’ils vivent et qu’ils meurent. A tout instant, on voit une lice allaiter sur le pavé sa portée nombreuse qui a reçu le jour au coin d’une borne. De quoi se nourrissent ces quadrupèdes, c’est ce qu’il est assez difficile de savoir. Le gouvernement leur abandonne complètement la police comme le nettoyage des rues, et les ordures de tout genre ou les cadavres de leurs pareils morts de vieillesse composent apparem-