Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Russes avaient interrompu les communications, et la disette commençait à se faire sentir à Constantinople ; les magasins mal approvisionnés de l’administration ne pouvaient fournir que du blé tellement avarié, que l’on avait grand’ peine à en confectionner un pain détestable et malsain. Pour remédier au mal, un employé proposa de permettre à quiconque pourrait se procurer du blé d’en fournir. La situation était critique, le peuple murmurait hautement ; on le permit. Aussitôt les agriculteurs, les commerçans, s’empressèrent, et l’abondance reparut. Veut-on savoir comment le gouvernement profita de cette leçon ? D’abord il reprit le monopole ; puis, quatre ans plus tard, en 1832, ayant besoin pour ses magasins d’un million de mesures de blé, il défendit, pour être plus sûr de se les procurer, l’exportation des grains dans tout l’empire. De la sorte, pour rassembler plus vite 1 million de mesures de blé, il en détruisit 100 millions peut-être et ruina dix mille agriculteurs. En 1838 seulement a cessé en partie ce système barbare, et l’on pense bien que six années ne suffisent pas, surtout dans un pays comme la Turquie, pour effacer les traces d’un pareil épuisement. Quel est, depuis 1838, le chiffre de cette régénération du commerce dont on a tant parlé ? Cela est difficile à dire, et les registres incomplets de l’administration turque auraient grand’ peine sans doute à le bien établir. Si l’on se rappelle qu’à Smyrne, l’abolition des monopoles a ajouté en une année 1 million à peine à un mouvement commercial de 42 millions, qui a subi depuis 1816 une déchéance de 30 millions, on peut par analogie, se faire une idée approximative de la prétendue régénération du commerce de la capitale, et, se trompait-on de quelques centaines de mille francs, qu’importe après une pareille décadence ?

Bien plus que le commerce, le mouvement du port de Constantinople classe cette ville parmi les plus considérables de l’Europe. J’ai déjà dit combien était imposant l’aspect de cette file de navires qui, sur trois rangs de profondeur, couvrent, dans la Corne d’Or, un espace long de près d’une lieue. Le nombre de ces bâtimens est immense en effet ; il a été en 1843 de 5,986, si l’on compte à la fois les navires chargés pour Constantinople et ceux qui font seulement escale dan ce port en se rendant dans la mer Noire. Aucun port d’Europe n’est le théâtre d’une aussi active navigation, pas même celui de Londres, qui ne reçoit annuellement, si nous sommes bien renseigné, qu’environ 4,140 navires, portant 780,000 tonneaux. Le mouvement des vingt-neuf ports de la Russie réunis n’égale pas celui de la Corne d’Or. — Ici se présente un de ces faits qu’il est pénible de constater quand