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dans des maisons séparées et ordinairement fort distantes les unes des autres. Sans aller en Turquie, on trouverait peut-être en Europe de semblables ménages. Les autres Turcs, il faudra le répéter souvent pour qu’on l’entende, les autres Turcs ont une seule femme à laquelle ils sont d’ordinaire fidèles. À la vérité chaque mari donne à sa femme une suite d’esclaves aussi nombreuse que le permet sa fortune, c’est le luxe de l’Orient ; ces jeunes filles sont quelquefois très belles, et le musulman est maître absolu dans son intérieur. Toutefois, s’il use en secret de son autorité, il commet une action dont il rougit lui-même, et si, bravant la jalousie de sa femme, il est ostensiblement infidèle, il encourt le blâme général. Que l’on songe à ce qui se passe dans les pays civilisés, et que l’on se représente le musulman, oisif dans son tiède climat, pouvant donner la loi pour excuse de ses plaisirs, vivant au milieu de belles jeunes filles aux longs yeux qui ne connaissent que lui, qui l’aiment sans doute, et peut-être concevra-t-on les fautes de quelques-uns d’entre eux. Quant à ceux qui résistent à toutes ces tentations, et c’est, comme je l’ai dit, le plus grand nombre, on conviendra que leur fidélité est méritoire, et qu’en général on ne tient pas assez compte aux Turcs de leur vertu. Le padicha seul est sultan dans toute la voluptueuse acception du mot. Un magnifique palais où n’arrivent jamais les bruits du dehors, où un trésor inépuisable a rassemblé toutes les merveilles du luxe, des bains de marbre, des jardins enchantés qui ont pour clôture une mer étincelante, pour dôme le plus doux ciel de la terre, des légions d’esclaves n’ayant d’autre volonté que la sienne, d’autres lois que ses caprices, prêts à payer de leur tête son moindre déplaisir, et dans cet éden trois ou quatre cents femmes choisies parmi les plus belles de l’univers, ne respirant que pour lui, ne souriant que pour lui plaire, voilà le monde, voilà la vie de cet homme, et le sultan actuel a vingt-deux ans ! Au dire de tous ceux qui l’approchent, ce jeune homme est morose, triste et ennuyé.

Le harem du grand-seigneur est le lieu le plus mystérieux de la terre, et l’on ne sait guère ce qui s’y passe ; on croit cependant que les femmes y sont au nombre de cinq à six cents. Elles se divisent en plusieurs classes. Sous le nom de kadines, on comprend celles qui, ayant eu le bonheur de plaire à sa hautesse, sont devenues ses favorites ; elles habitent chacune des appartemens séparés, et ont à leur service plusieurs jeunes esclaves nommées ustas. Il y a ordinairement quatre kadines ; toutefois il est loisible au sultan d’en augmenter le nombre ; Amurat III, par exemple, trouvait bon de le