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coup sûr rien à craindre d’une comparaison avec les Commentaires ; mais, outre ses écrits militaires, que dire de ses harangues aux soldats, de ses conversations politiques, de ses improvisations au sein du conseil d’état ? Sur le rocher de Sainte-Hélène, quels admirables monologues ! Il a auprès de lui un homme dévoué qui recueille précieusement ses paroles ; il ne l’ignore pas ; il sait bien et l’on s’aperçoit, en lisant le Mémorial, qu’il cause pour l’Europe, pour la postérité, et, comme cette idée l’excite, il est inépuisable en aperçus, en développemens. Sur combien de choses il se montre nouveau, éloquent, lui enfin ! Nous avons donc affaire ici à un grand artiste de pensées et de paroles, et M. Thiers a su tirer un merveilleux parti, non-seulement de ce que Napoléon a fait, mais de ce qu’il a dit. L’habile industrie avec laquelle il place dans son livre ce qui est sorti de plus grand de la plume et de la bouche du premier consul, de l’empereur, donne à son histoire une physionomie antique, tout en en confirmant la vérité.

Si de Napoléon nous allons aux choses principales que contient le livre de M. Thiers, nous trouvons les affaires de la religion traitées d’une manière vraiment politique. Nous ne nous étions pas trompé en prévoyant quelle sensation profonde devait exciter le troisième volume où est raconté le concordat. On a surtout remarqué la hauteur et la fermeté de vues avec lesquelles était abordé et résolu le problème religieux. Là comme ailleurs, M. Thiers ne s’est pas mépris sur les obligations et le véritable génie de l’histoire. Pour l’homme politique, pour l’historien, la religion est surtout un fait puissant, indestructible, qui a ses racines et ses raisons dans le cœur de l’homme, et qui est une des conditions nécessaires de la société. Que le philosophe scrute les dogmes, qu’il en compare les détails avec les principes métaphysiques, qu’il contrôle la religion par la science, c’est son office, c’est son droit. L’homme d’état et l’historien ont d’autres soins et d’autres vues ; ils ne pèsent pas tant la vérité absolue des religions que leur utilité sociale, et, sans dévotion comme sans hypocrisie, ils ont pour le culte un sérieux respect, parce qu’ils sont convaincus de cette vérité, si bien exprimée par M. de Fontanes, que toutes les pensées irréligieuses sont des pensées impolitiques.

On doit mettre au nombre des prospérités de la religion catholique sa disparition d’un moment au milieu de la tempête de 1793. Elle a pu se perpétuer, grace à cette ruine d’un jour. En effet, quand Napoléon l’a rétablie, elle a reparu sans le triste cortége des privilèges, des abus et des scandales de l’ancien régime. Tout avait péri avec ce régime, tout, hormis ce qui restait de vertu intrinsèque au christianisme.