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communiqué à l’auteur ; ni de bouche ni par écrit. » Ce n’est pas tout : le prince écrivit au docteur une lettre de remerciement, dans laquelle il lui donna l’assurance que ce n’était pas la faute de la Prusse si ces conditions n’avaient pas prévalu ; mais la Prusse, épuisée d’hommes et de moyens, n’avait pu emporter une pareille question contre l’Europe : elle a dû sacrifier ses convictions les plus intimes à l’union avec ses alliés et au repos de ses peuples. — Il y a, dans cette résistance de l’Europe aux passions d’un cabinet alors plus irrité que les autres, comme une solennelle reconnaissance de la place nécessaire que la France occupe dans le monde. Trente ans sont écoulés, et l’Allemagne elle-même peut juger aujourd’hui s’il était de son intérêt de partager, de mutiler le peuple qui lui a donné l’exemple et le goût de la liberté constitutionnelle.

Mais, à la fin du cinquième volume de M. Thiers, nous sommes loin des tristes conjonctures de 1815. L’historien nous laisse au milieu des plus glorieuses prospérités et à la veille d’Austerlitz. Napoléon a été cinq ans consul ; désormais ce sera comme empereur qu’il gouvernera la France. Dès aujourd’hui M. Thiers est l’historien complet de ce consulat illustre ; il y a consacré cinq volumes sur lesquels il est possible de résumer un jugement général.

Nous voudrions, avant tout, vider une question préliminaire, et savoir précisément ce qu’il faut penser d’un mérite que nul ne conteste à l’Histoire du Consulat et de l’Empire, le mérite de la clarté. Même en insistant sur cet éloge, quelques personnes se sont flattées d’avoir été très méchantes. C’est donc chose convenue, la clarté est une des qualités principales de M. Thiers. Mais à quel prix est-on clair dans un sujet immense ? A quelles conditions ? Au prix de la méditation la plus profonde, aux conditions d’une supériorité véritable et d’une grande force dans l’esprit. Tomber d’accord que notre historien est souverainement clair dans les détails les plus déliés comme dans les grandes proportions de son récit, c’est lui accorder qu’à travers une œuvre non moins difficile que vaste il a toujours été maître de ses matériaux, de ses idées, qu’il n’a jamais eu le regard ébloui, obscurci, ni la main fatigué. Est-là ce qu’ont voulu dire tous ceux qui ont parlé de la clarté de M. Thiers ?

L’histoire a des règles certaines, et en même temps tout esprit supérieur qui l’aborde y porte son originalité. Quand elle est traitée par des hommes d’un certain ordre, on est sûr qu’elle ne sera ni une apologie, ni une satire, ni une prédication. Voilà pour l’absence des défauts, de ces défauts qui ne se pardonnent point, parce qu’ils altèrent la nature, l’essence même du genre et de l’art historique. A l’abri de