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faut le dire, fort peu vêtus. La femme d’un officier, atteinte de monomanie d’orgueil, prend les autres femmes qui l’entourent pour des duchesses ; elle croit le docteur Falret un grand seigneur qui s’amuse à se faire passer pour médecin. La forme de l’hallucination présente aussi quelquefois un contraste étrange avec les causes qui l’ont amenée. Nous avons vu un pauvre diable d’Auvergnat qui, pour avoir souffert plusieurs jours de la faim, et pour avoir convoité en silence les alimens qu’il voyait étalés à la vitre des traiteurs, croit toujours être assis devant une table chargée de mets. Le plus singulier est que cet homme exécute à vide, durant des heures entières, un mouvement mécanique des mâchoires. On a également observé qu’il y avait beaucoup plus de délires érotiques parmi les filles sages que parmi les filles de mauvaise vie. Ces dernières ont, au contraire, des visions angéliques. Ne pouvons-nous rapprocher ce fait du sommeil des trappistes, si horriblement troublé de rêves obscènes et criminels- ? C’est, dans les deux cas, la nature qui prend sa revanche.

Une autre division moins importante, mais fondée aussi sur la nature du phénomène, servira à nous diriger dans ce dédale : tantôt c’est le caractère ou l’éducation d’une personne qui moule la forme des images créées par son cerveau ; tantôt c’est la société où l’on vit qui marque sur ces images l’empreinte des évènemens ou des doctrines du siècle.

Les hallucinations d’une personne instruite ne sont pas celles d’une personne ignorante. Souvent même la forme du phénomène porte la trace immédiate des études favorites de l’homme halluciné. Nous avons rencontré dans un établissement d’aliénés un prêtre qui, pour avoir appliqué trop ardemment son intelligence au mystère de la sainte Trinité, avait fini par voir autour de lui tous les objets triples : il se figurait être lui-même en trois personnes, ne parlait jamais de son moi qu’au pluriel et voulait qu’on lui servit à table trois couverts, trois plats, trois serviettes. Comment définir cette affection mentale ? N’est-ce pas ici l’idée fixe de l’individu qui s’imprime aux sensations et qui leur communique en quelque sorte son image ?

Quand ce n’est pas une idée qui marque la forme de l’hallucination, c’est un sentiment. Dans un autre établissement d’aliénés, un jeune homme de vingt-huit ans croyait humer continuellement l’odeur de la corne qu’on brûle au pied des chevaux. Le sens trouvait à cette odeur un plaisir extrême. Une pareille erreur du nerf olfactif avait paru au chef de l’établissement une de ces mille bizarreries du délire que rien n’explique. Le hasard nous fit découvrir que cet halluciné,