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qu’elles soient. Comme la volonté est un des organes de la croyance, il oblige ses malades à parler et à agir en sen inverse de leur manière de voir. C’est dans de pareils cas que M. Leuret s’est servi avec avantage de la contradiction. L’emploi des moyens énergiques demande une grande connaissance du cœur de l’homme. Il faut un coup d’œil prompt et juste pour que l’aliéné, sentant toutes ses ruses percées à jour par la sagacité du médecin, se reconnaisse le plus faible et cède à l’ascendant de la raison. La contradiction est bonne ; la diversion est meilleure. La plupart des hallucinations tiennent à des passions délicates que l’on réveille non-seulement quand on les flatte, mais encore quand on les choque ; il vaut mieux les laisser dormir. Ceux qui contredisent perpétuellement les fous hallucinés ne songent pas qu’ils ne peuvent les irriter de la sorte sans leur rappeler vivement l’objet de leur délire ; ainsi l’on incruste trop souvent ce qu’on voulait effacer. Nous assistions à la visite d’un médecin qui demandait à une malade, avec ironie : « Eh bien ! sommes-nous toujours la princesse de *** ? — A force, répondit-elle, de revenir toujours sur le même sujet, vous graveriez chez nous des idées que nous n’avons pas, ou que nous n’avons eues qu’en passant. » Le docteur, homme d’un grand sens, tomba lui-même d’accord avec elle, et reconnut la sagesse de cette observation. M. Brierre de Boismont reproche au système de diversion morale que l’on ne saurait l’appliquer dans tous les cas. Cette objection ne nous semble pas suffisamment fondée. Nous ne croyons pas qu’il soit impossible de faire travailler hors d’un hospice les malades de l’intelligence ; nous avons vu dans le riche et bel établissement de Vanvres des gentilshommes aliénés qui remuaient bravement la terre avec la bêche. Or, le travail des mains est une diversion au images du délire. Quand les mains ne veulent point s’occuper, il faut intéresser la tête. Plus le malade appartient à une classe cultivée, plus il offre de prise au médecin pour varier la nature des distractions. M. Leuret s’est fait plus d’une fois l’instituteur de ses malades ; les leçons de cet habile médecin n’avaient alors qu’un but, guérir l’esprit en l’ornant.

Un homme qui remplissait dans le monde des fonctions honorables s’imagine un jour avoir du poison dans la poitrine. La source d’une telle illusion était dans la défense qui lui avait été faite, par une caution hygiénique, d’embrasser trop souvent son enfant nouveau-né. A force de raisonner sur son erreur, notre malade arrive à cette conséquence : « Ce poison que j’ai dans la poitrine coule avec mon sang dans mes membres, et je puis le communiquer. » Dès-lors il n’ose plus