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variété des détails. Dickens, dans son Olivier Twist, et surtout dans son Carillon de Noël, a suivi la même route et a beaucoup mieux réussi. Le roman admet la caricature, il vit de réalité, il ne répugne pas à ces tableaux hollandais de la vie infime ou haillonneuse. Quant à la poésie, dont l’essence est idéale, elle n’a pas trouvé encore son Homère chartiste et ne le trouvera probablement pas.

L’auteur d’Ernest, le plus remarquable de ces écrivains-artisans, se sert d’une forme très libre de versification, du vers blanc. Ce vers accentué sans rime, que Milton a employé avec tant d’harmonie et de majesté, Shakspeare avec une énergie si variée, Cowper avec une grace élégiaque si charmante, convient particulièrement aux langues germaniques ; car la rime, comme nous le disions naguère[1] dans ce recueil, est pour le nord une acquisition hybride et une adoption élégante plutôt qu’une nécessité intime. L’accent de chaque mot germanique portant sur la racine même, c’est-à-dire sur le sens, imprime puissamment l’idée, et prête à la poésie septentrionale un caractère très prononcé d’énergie intellectuelle. Malheureusement il est trop facile de composer dans ces idiomes de mauvais vers sans rime, et cette longue période, se déroulant comme une nappe de flots qui retombent et se succèdent, offre aux versificateurs une séduction dangereuse qui les éloigne de la concision. L’auteur d’Ernest s’y est abandonné sans réserve ; ses harangues ne finissent jamais, et l’enivrement de son abondante éloquence l’entraîne de page en page, jusqu’à ce que le lecteur fatigué laisse tomber le livre. Il y a néanmoins des passages admirables dont la pureté et l’élévation frappent l’esprit d’une émotion profonde, et qui, resserrés dans un moindre cadre, auraient produit tout leur effet. Une foule de chartistes, d’enfans, de villageois et de contrebandiers, armée assez peu estimable, que le dévouement à la cause populaire doit épurer, marchent ensemble dans une de ces vallées anglaises, si fraîches, si vertes, si embosomed, qu’il est impossible d’oublier jamais, quand on les a vues, leur profond silence et les bois qui les tapissent ; ils vont écouter le prédicateur calviniste qui sert de chef à la révolte. La description de cette marche populaire est pleine d’animation et de beauté. «  Chez les jeunes et les enfans débordent la joie naturelle et le sentiment de la vie. Chez les vieillards, cette source vive est tarie ; ils puisent leur gaieté dans la gaieté de ceux qui les suivent. Douce et charmante était la scène, et ils passaient en chantant le long de ces collines, dont le front grisâtre

  1. Voyez l’article sur le théâtre de Hrosvita, n° du IS août.