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cette époque, les ressources évasives de la défense paraissaient épuisées et le débat au fond allait s’engager devant un jury spécial, formé sur des listes incomplètes, et d’où, à l’aide de récusations systématiques on avait exclu tout catholique et tout protestant libéral. Le résultat définitif n’avait donc rien de douteux, et les accusés se trouvaient placés entre ces deux partis : ou bien se présenter devant le jury la tête haute, le front calme, comme les représentans d’un peuple opprimé par un autre peuple, comme les champions de l’indépendance nationale, comme les martyrs dévoués d’une noble cause ; ou bien substituer le légiste au tribun, et chercher dans les complications, dans les subtilités de la loi anglaise, le moyen de harasser, de troubler, de ruiner l’accusation. De ces deux partis, O’Connell devait naturellement choisir le second. Il le choisit en effet, et dès-lors, perdant sa grandeur, le procès se traîna, comme l’affaire la plus obscure, dans tous les détours d’une chicane vulgaire. Néanmoins chacun savait qu’en réalité il s’agissait des maux et des droits de l’Irlande. Chacun sentait en outre que le succès ou la défaite d’O’Connell exercerait sur la politique intérieur du pays, et sur les forces respectives des partis parlementaires, une notable influence. De tous côtés, on attendait donc avec impatience, avec anxiété, l’issue de la lutte, et on se préparait, quelle qu’elle fût, à l’exploiter pour ou contre le ministère.

En même temps, dans une autre sphère, un double mouvement agitait les populations de l’Angleterre et de l’Écosse. A la ligue anti-prohibitive qui continuait ses prédications, ses banquets ; ses collectes, ses distributions de livres, le parti agricole avait senti la nécessité d’opposer une contre-ligue qui employât les mêmes moyens, qui luttât à armes égales. Dans tous les comtés, dans toutes les villes importantes, il y avait donc des réunions, soit dans un sens, soit dans l’autre, où l’on prononçait les discours les plus violens, où l’on prenait les résolutions les plus extrèmes. Quelquefois, quittant leur terrain habituel, les chefs de la ligue allaient au milieu même du camp ennemi provo que des désertions et porter la guerre. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises M. Cobden se présenta parmi les agriculteurs et s’efforça de leur démontrer que la liberté du commerce, nuisible aux propriétaires fonciers dont elle réduirait les baux, serait favorable aux fermiers, dont elle augmenterait les ressources. Sur les intentions, sur les projets du ministère il n’y avait d’ailleurs qu’incertitude et que doute. Selon les uns, le ministère, éclairé par l’expérience et cédant au mouvement de l’opinion publique, allait abandonner sa fameuse échelle mobile et proposer un droit fixe modéré. Selon les autres, le ministère