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haine et toutes les vengeances nationales. Néanmoins l’archevêque de Dublin, l’archevêque d’Armagh et l’évêque de Killaloe crurent devoir, sans s’arrêter aux déclamations d’O’Connell, accepter les fonctions que le gouvernement anglais leur offrait. Cela prouvait que pour cette fois l’autorité d’O’Connell fléchissait, et qu’une portion au moins du clergé était près de lui échapper. Il paraissait donc prudent, sinon de se dédire, du moins de se taire, et de détourner l’attention publique sur quelque autre question. Au lieu de cela, O’Connell irrité s’emporta, menaça, et s’efforça d’obtenir par la peur la démission des trois évêques. A l’entendre, tout bon Irlandais, tout vrai catholique devait manifester publiquement son horreur pour un bill qui établissait un premier lien entre l’église catholique et l’état, qui mettait les évêques en rapport avec le vice-roi, qui conduisait infailliblement à l’asservissement du clergé, d’abord au moyen du salaire, ensuite par un concordat. Puis, pour ajouter à l’effet de ses discours, il prétendit que dès à présent une négociation était ouverte avec le pape à l’effet d’arranger d’un commun accord la double question du salaire et de la nomination des évêques. Il prétendit de plus que la cour de Rome avait le tort de prêter l’oreille à de telles propositions, ainsi que le prouvait une lettre de la propagande adressée à l’archevêque d’Armagh contre l’agitation du rappel ; « mais, ajoutait-il, ce n’est point là un document canonique, et comme, dans tous les cas, il s’agit des droits civils et politiques de l’Irlande, le document est sans valeur. » Il terminait en déplorant la complaisance de quelques évêques en présence de ce premier coup porté à l’indépendance nationale. « Le danger était considérable, et le schisme imminent. Il ne fallait rien moins pour le conjurer que le zèle et le dévouement de tous les vrais patriotes. »

Maintenant, quel fut le résultat de cette levée de boucliers ? Un des évêques, l’évêque de Killaloe, fut effrayé, et, comme l’espérait O’Connell, se retira de la commission ; mais les deux autres, hommes bien plus importans, persistèrent courageusement, et un troisième s’adjoignit à eux. La commission de dix membres se constitua donc, et comprit dans son sein cinq catholiques, dont trois évêques, selon le vœu du parlement. Aux injures, aux menaces dirigées contre eux, les trois évêques répondirent avec calme, mais avec fermeté. Dans une lettre pastorale remarquable, l’archevêque de Dublin, le docteur Murray, tout en regrettant d’être en dissidence avec beaucoup de ses collègues, déclara que, si imparfait qu’il fut, le bill avait un but utile, et qu’il ne voulait, pas, quant à lui, perdre l’occasion de mettre