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Il y eut bien encore, pour et contre, des discours, des écrits, des meetings ecclésiastiques ou laïque. Il y eut dans quelques paroisses, comme pour le surplis en Angleterre, de petites émeutes contre les prêtres adversaires d’O’Connell. Il y eut des lettres d’évêques, celles-ci à O’Connell lui-même, celles-là à sir Robert Peel, plus ou moins violentes, plus ou moins injurieuses. Il n’en resta pas moins démontré qu’O’Connell n’était plus maître absolu de l’Irlande, et qu’au sein même du clergé catholique il existait contre ses exagérations un point d’appui large et solide ; il n’en resta pas moins démontré aussi qu’un gouvernement sage pouvait trouver là une force considérable.

En somme, depuis sa sortie de prison, O’Connell n’avait guère éprouvé que des échecs. De tout ce qu’il avait successivement annoncé, les meetings-monstres, la réunion des trois cents gentilshommes irlandais, l’accusation même contre ses juges, il ne restait qu’un souvenir peu sérieux, et il venait de succomber dans une lutte malhabilement engagée avec une portion du clergé catholique sur un terrain mal choisi. Quant au rappel si souvent promis à jour fixe, si l’on en juge par un thermomètre assez certain, celui de la rente, il n’était en progrès. La rente du rappel avait été de 65,000 liv. sterl. en 1843-44, et le tribut O’Connell de 28,000 liv. sterl. Or, le tribut semblait en 1844-45, devoir atteindre la même somme, mais la rente baissait notablement, malgré l’accession de quelques protestans distingués, entre autres de M. Hutchinson. Quant au singulier projet l’une union intime entre tous les Irlandais, catholiques et orangistes, il s’était à peu près borné à quelques agaceries sans conséquence entre l’association et le Warder, journal orangiste, et à une scène assez ridicule dans laquelle il vint à M. O’Connell et à M. Tresham Gregg l’idée subite de se jurer une éternelle amitié. Enfin le nouveau lord-lieutenant, lord Heytesbury (William A-Court), qui en juin 1844 avait succédé lord de Grey, employait à fomenter les divisions catholiques ses talens diplomatiques bien connus. Grace aux fautes d’O’Connell, grace aussi à l’habileté du gouvernement, l’échec du procès était donc à peu près réparé, et la situation de l’Irlande paraissait moins menaçante. Au fond, pourtant, aucune difficulté n’avait été résolue, et pour rallumer la guerre de la race irlandaise contre la race saxonne, du catholicisme contre le protestantisme, de la pauvreté contre la richesse, il ne fallait qu’un instant. Déjà, même dans le comté de Tipperary des désordres venaient d’éclater, désordres non politiques, mais qui n’en avaient que plus de gravité. Tout le monde attendait avec impatience, avec anxiété, les mesures que prendrait sir