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qu’on se rappelle qu’en plus d’une circonstance la jeune Irlande, dont malheureusement le chef distingué, M. Davis, vient de mourir, s’est nettement séparée d’O’Connell ; qu’on n’oublie pas qu’à Belfast même, cette métropole du nord, il y a en face des orangistes et des repealers un noyau considérable de protestans vraiment libéraux, vraiment patriotes, et l’on ne regardera pas une transaction comme impossible. Cependant cette transaction ne peut avoir lieu que si le gouvernement prend le bill de Maynooth et le bill d’éducation comme le point de départ d’une politique toute nouvelle. Ce qui s’est fait cette année est quelque chose ; c’est loin d’être assez pour que le parti modéré en Irlande ait le droit de se dire satisfait et d’élever à son tour son drapeau.

Quant à O’Connell, si la passion ne l’égarait pas, il aurait un beau rôle à jouer. Grace à l’agitation de 1843, grace à ses efforts, il voit en Angleterre le parti ultra-anglais, ultra-protestant, définitivement abattu et vaincu. Il voit un ministère, qui doit le pouvoir aux préjugés contre l’Irlande, risquant de perdre ce pouvoir pour entrer à l’égard de l’Irlande dans une voie meilleure. Il voit les hommes éminens de ce ministre, celui-ci, sir James Graham, rétractant de fâcheuses paroles, celui-là, lord Stanley., présentant et défendant contre l’aristocratie foncière un bill en faveur des petits fermiers, le troisième, sir Robert Peel, reconnaissant que l’Irlande ne peut être gouvernée que par la conciliation. Il voit l’organe principal du parti tory, le Quarterly Review, abandonnant décidément la vieille politique et acceptant l’idée d’un établissement catholique en Irlande. Il voit enfin les whigs déclarant hautement que l’égalité la plus absolue doit exister entre les deux royaumes, et que les lois doivent être révisées en conséquence. D’un autre côté, O’Connell ne peut ignorer que le rappel sans séparation est une chimère et une folie. Il sent que l’Irlande ne saurait être éternellement bercée d’un espoir qui fuit sans cesse, d’un plan qui ne se formule jamais, d’un mot qui reste vain et vague. Il comprend que, s’il a facilement triomphé de M. Sharman-Crawford et le M. Grey-Porter quand ils ont voulu rédiger leur projet de rappel, M. Grey-Porter et M. Sharman-Crawford triompheront facilement de lui quand il rédigera le sien. Il s’aperçoit d’ailleurs que, dans le parlement comme dans la hiérarchie catholique, tout le monde n’est pas d’humeur à continuer la guerre pour la guerre, et à prolonger la crise, si elle peut être arrêtée. N’est-ce donc pas pour O’Connell le moment d’aller à la fois plus et moins loin qu’il n’a été jusqu’ici ? N’est-ce pas le moment de placer nettement l’Angleterre entre une